Les joyeuses et délicieuses "P'tites Michu" d'André Messager réinventées par la compagnie "Les Brigands"

Les P'tites Michu, Blanche-Marie (A.A.Cochet) et Marie-Blanche (V. Polchi) C) N.Perier Stefanovitch

C'est dans leur fief de l'Athénée que la compagnie "Les Brigands" qui, depuis plusieurs années, se plaît à revisiter joyeusement le répertoire de l'opérette, propose d'exquises "P'tites Michu" du compositeur André Messager, ami de Debussy, dont on ne cesse de redécouvrir l'oeuvre sans qu'elle s'impose jamais. Espérons que ce soit enfin le cas à la suite de ce charmant spectacle.

Spectacle délicieux... dès le générique dessiné!

"Les p'tites Michu", cela dit quelque chose... De là à les avoir entendues! Voilà l'occasion, avec ce spectacle charmant où la compagnie "Les Brigands" réussit, avec des trésors d'invention, à compenser des moyens qu'on devine modestes et à combiner l'art du jeu, l'art du chant, l'art du burlesque et de la poésie, sans aucune prétention mais de telle manière qu'après des applaudissements nourris les spectateurs sortent du théâtre de l'Athénée avec de la joie au coeur et du sourire aux lèvres.

Mlle Herpin (Caroline Meng) déchaînée. Derrière, maman (Marie Lenormand) et papa Michu (Damien Bigourdan) C) Nemo Perier Stefanovitch

Le générique, déjà, nous donne l'intuition de la qualité du spectacle: un générique dessiné (ravissamment, par Marianne Tricot) et où ne manque personne, projeté sur un rideau d'avant-scène, avec un charme espiègle et naïf qui nous met en joie. On est un peu plus inquiet quand on découvre l'institut Herpin, des garçons (assez drôles) qui jouent les filles, une mademoiselle Herpin (Caroline Meng) qui en fait beaucoup, même si avec talent, distillant à ses pensionnaires: "Il y a encore eu des dernières, mesdemoiselles. J'espère qu'il n'y en aura plus à l'avenir"

Les jumelles Michu, façon "Demoiselles de Rochefort"

Mais l'apparition des jumelles Michu, en jaune et blanc, façon "Demoiselles de Rochefort" (la blonde sage et la brune plus délurée, ce sont des clichés qui fonctionnent toujours!) nous rassure. Et surtout leur premier air, très "Nous sommes deux soeurs jumelles / Nées sous le signe des Gemeaux" mais écrit 70 ans plus tôt: "Deux têtes sous le même bonnet".

Et c'est là que commence le miracle de Messager: la musique est entraînante et délicate, les deux tessitures, voisines (des écarts à la tierce) s'harmonisent très bien, le talent et la présence en scène de Blanche-Marie, la blonde (Anne-Aurore Cochet), et de Marie-Blanche, la brune (Violette Polchi), sont immédiat, avec de fort jolies voix, plus charnue chez Polchi, plus lyrique chez Cochet, malgré une diction encore perfectible.

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Gaston (Philippe Estèphe) embrasse Blanche-Marie (Anne-Aurore Cochet) à qui Marie-Blanche (Violette Polchi) tourne le dos C) Nemo Perier Stefanovitch

Une musique qu'on aimerait réentendre... sans même les images

André Messager, plus connu encore pour "Véronique", mais c'est un peu tout, et dont "Les p'tites Michu", de 1897, arrivent à la fin d'un certain âge d'or de l'opérette, qui jettera encore des feux avec "Phi-Phi" ou "Ciboulette" avant de connaître une nouvelle évolution (plus marseillaise!) dans les années 20: la musique de ses "P'tites Michu", on aimerait bien la réentendre... sans les images, pour mieux apprécier l'élégance de la ligne mélodique ou la faculté du compositeur à parodier finement divers styles.

Messager, parfois faussement dramatique, parfois canaille, raffiné, martial, en fonction des situations, mais toujours avec beaucoup d'invention, utilise d'ailleurs un procédé tout simple pour renforcer les voix: les doubler à l'orchestre avec de légères variations harmoniques, ce qui est après tout une excellente idée, abondamment utilisée aussi par un Puccini à la même époque.

Aristide amoureux (Artavazd Sargsyan), Blanche-Marie consternée (Anne-Aurore Cochet) C) Nemo Perier Stéfanovitch

Un univers rose pop et des coeurs qui s'envolent

Dans cet univers décrit par Rémy Barché, le metteur en scène, comme "rose pop", qui serait celui-ci d'un journal intime d'adolescentes d'aujourd'hui, voici que surgit le sémillant Gaston, neveu de mademoiselle Herpin (("Gaston, tu viens jeter le trouble au milieu de mon jeune troupeau") et brillant capitaine (Philippe Estèphe, ténor sans reproche), dont les jumelles vont tout de suite tomber in love. Quant à lui, sensible à leur pétulance, voilà: il est fiancé à Irène des Ifs, la fille de son général, qu'il ne connait pas encore! Cela nous vaut de délicieux détails incrustés (miracles de la vidéo!) sur le mur de fond de scène, coeurs qui s'envolent, graffitis de nymphettes ("Gaston, mon dragon, Gaston mon raton, Gagaston tu me rends gaga", etc)

Les parents Michu, fromagers aux Halles

C'est alors qu'après avoir fait connaissance des parents Michu, tenant aux Halles une épicerie de B.O.F. (beurre, oeufs et fromages), et évidemment c'est plutôt madame qui porte la culotte ("A l'ouvrage dès que vient l'matin, j'suis la première à la boutique... Et, bien que n'ayant ni barbe ni moustache, tout le monde dit c'est un rude homme que m'dame Michu") et découvert aussi leur grand benêt de commis, Aristide, amoureux transi des jumelles, toutes les deux, "laquelle choisir j'peux tout de même pas m'faire bigame", c'est alors donc que... coup de théâtre....

Attention: COUP DE THEÂTRE!

Et si vous avez l'intention d'aller voir ce délicieux spectacle comme, de nouveau, je vous le conseille, arrêtez tout de suite votre lecture, pour la reprendre, l'esprit joyeux, ce soir, à votre retour.

Pour tous les autres voici: les jumelles ne sont pas jumelles.

Pire: l'une d'elles est mademoiselle des Ifs. Mais laquelle?

Car les Michu étaient, dans un lointain passé, les domestiques des Ifs du côté de Lisieux; et maman Michu la nourrice d'Irène.

Or papa Michu en baignant les fillettes quand elles n'avaient encore aucun caractère distinctif, n'a pas pris le soin de les identifier!

Les jumelles séparées? C) Nemo Perier Stefanovitch

Un secret qui les sépare...

On voit comment Messager et ses librettistes, Albert Vanloo et Georges Duval, renouvelle le principe de l'échange des bébés. Car là, ce n'est plus de l'échange, ni de la substitution, c'est de la confusion! Du coup l'histoire s'accélère, d'abord avec l'arrivée du général très... général ("A l'idée de voir ma fille, mon coeur bat... au point que j'entends sonner mes décorations") puis avec l'aveu aux jumelles, qui nous vaut un très joli duo mélancolique ("Le secret qui nous sépare, qui fait que toi, ce n'est plus moi") où les voix de Polchi et Cochet se mélangent avec une belle émotion.

Chacune trouvera son chacun

On s'arrêtera là de la narration. Sachez cependant que chacun (Gaston et Aristide) trouvera évidemment sa chacune, après encore bien des échanges, de charmantes surprises, une dernière trouvaille des librettistes... La musique de Messager (dont on se souvient soudain que, cinq ans plus tard, il dirigera la première du "Pelléas et Mélisande" de Debussy, ce qui prouve la curiosité de l'homme) continue de nous charmer en divers airs de grande qualité: les jumelles invoquant Saint-Nicolas, qui rappelle la prière de Marie des "Mousquetaires au couvent", l'air de mademoiselle Herpin, "A Paris rien ne vaut les Halles", évocation de "La fille de madame Angot", celui, sous forme de menuet à la Couperin, nous révélant la vraie Irène des Ifs... Et la mise en scène de Barché de nous régaler par sa finesse, la direction musicale en formation réduite (façon "Les Brigands") de Pierre Dumoussaud de charmer nos oreilles, malgré les petits décalages obligés.

Marie-Blanche (Violette Polchi) en robe de mariée C) Nemo Perier Stefanovitch

Bons interprètes et principes républicains

Boris Grappe, le général, a le timbre et l'aisance, Caroline Meng l'abattage, Marie Lenormand et Damien Bigourdan sont parfaits, de voix et de jeu, en papa et maman Michu "populaires"  Petite réserve avec Romain Dayez en Bagnolet, l'enseigne du général : il surjoue dans une sorte de fou délire, que lui impose le metteur en scène sans doute, mais ce n'est pas vraiment le ton des autres interprètes. Parmi lesquels j'ai distingué aussi la très beau timbre, aux aigus faciles et aux chaudes couleurs, d'Artavazd Sargsyan en Aristide, que l'on imaginerait bien, s'il en a l'endurance, dans le répertoire de Luis Mariano!

Dans l'esprit de Messager, "Les p'tites Michu" se situaient sous l'Empire. La transposition intemporelle n'est pas du tout gênante, la seule allusion historique étant celle du siège de Saragosse (les troupes de Napoléon en grande difficulté devant les Espagnols) que tout le monde a oublié. Et l'on y découvre un principe très IIIe République qui veut qu'une aristo et une plébeienne finissent par se ressembler comme... des jumelles pourvu qu'on les éduque sans leur enseigner leur rang!

Le vieux républicain que je suis y trouve pleinement son compte.

"Les p'tites Michu" d'André Messager par la compagnie "Les Brigands", mise en scène de Rémy Barché, direction musicale Pierre Dumoussaud, arrangements musicaux Thibault Perrine, Théâtre de l'Athénée, Paris, dimanche 24 juin, 16 heures, mardi 26 juin, 19 heures, mercredi 27 et vendredi 29 juin, 20 heures.

"Les P'tites Michu" seront aussi au Théâtre de Caen les 30 et 31 décembre, et à l'Opéra de Reims les 19 et 20 janvier 2019. Et, on l'espère, encore ailleurs.