De Mozart à Massenet, un beau concert de l'Académie de l'Opéra de Paris

Derrière Julie Fuchs, les chanteurs de l'Académie de l'Opéra C) E. Bauer

C'était il y a quelques jours, sous les ors du Palais Garnier, le concert de gala des jeunes chanteurs de l'Académie de l'Opéra. Des jeunes chanteurs et des jeunes musiciens, puisque l'Académie tente de repérer des talents dans tous les domaines des arts du spectacle. Qui dit concert de gala dit aussi présence des mécènes: une soirée "upper class" où, heureusement, la musique primait.

La générale B. parmi les mécènes

"Je vous présente la générale B. qui, je l'espère, va nous rejoindre... Mais vous l'avez croisée l'autre jour au Cercle..." Il y aurait eu sans doute, pour un écrivain en veine de brosser un tableau d'époque, un matériau assez jouissif ce soir-là, celui des mécènes sans quoi une institution comme l'Opéra ne peut plus rien. Et pour moi c'était l'occasion de réentendre en récital ce groupe que j'avais appris à connaître dans "La ronde" de Philippe Boesmans (voir ma chronique du 6 novembre).

"Cosi", sèche ouverture et beau trio

Sous la baguette de Jean-François Verdier, chef titulaire à Besançon, l'ouverture de "Cosi Fan Tutte" de Mozart devait permettre à l'orchestre de briller d'entrée, ainsi qu'aux musiciens surnuméraires de l'Académie qui venaient en renfort. Pas complètement convaincant pourtant. On voit ce que Verdier veut faire: un morceau d'orchestre où les thèmes, qui traduisent les personnages, entament une course-poursuite sombre et douloureuse. Les bois, très réactifs, ne brillent pas, les cordes, sans vibrato, en deviennent dures. C'est une ouverture qui confond précision et sécheresse, dynamisme et brutalité.

 

Les chanteurs de l'Académie entourant Julie Fuchs et Florian Sempey dans "Les Indes galantes" C) E. Bauer

Les chanteurs de l'Académie entourant Julie Fuchs et Florian Sempey dans "Les Indes galantes" C) E. Bauer

 

Le premier air ouvre "Cosi Fan Tutte". Les deux amoureux, Maciej Kwasnikowski en Ferrando, qui a toujours sa jolie voix de ténorino, Danilo Matvienko en Guglielmo, baryton expressif, chantent la confiance qu'ils ont dans leurs amoureuses pendant que Don Alfonso, sceptique et sarcastique, lance son pari sur l'inconstance des femmes. Mateusz Hoedt manque de projection, le trio en est déséquilibré. Cela va mieux ensuite, quand chacun se répond à tour de rôle, Hoedt rend bien l'ironie, la désinvolture, de celui qui a beaucoup vécu. Les voix s'harmonisent très joliment, surtout celles des jeunes gens, et le timbre de Kwasnikowski est vraiment un bonheur.

Almaviva pâle, Comtesse trop présente

Marie Perbost devait chanter Adina dans l' "Elixir d'amour". Elle est souffrante. Cela a sans doute déstabilisé son partenaire, Juan de Dios Mateos, qui devait lui donner la réplique en Nemorino, l'amoureux. Il chante un autre amoureux, l'Almaviva du "Barbier de Séville" et son air d'entrée, "Ecco ridente". C'est charmant mais Mateos semble tout intimidé, retenant le chant et l'expression qui en deviennent pâles, malgré de jolis pianissimi. Angélique Boudeville, elle, se lance dans l'air de la Comtesse, "Dove sono", des "Noces de Figaro" de Mozart: à travers deux compositeurs mari et femme se répondent.

On avait apprécié le tempérament de Boudeville dans "La Ronde". Outre la prononciation de son italien qui manque de consonnes, dans le récitatif elle tire la Comtesse  vers Norma. Et dans l'air, elle retient sa voix, privant son personnage de mélancolie, voire de désespoir. Boudeville me semble victime d'une erreur de casting, plus faite pour le répertoire italien des grands rôles tragiques.

E vivva Massenet

Enfin Massenet...

Les deux ensembles, l'un avant, l'autre après l'entracte, confirment le retour en grâce de ce compositeur, à une certaine époque un peu négligé. L'élégance, le charme de cette musique et souvent son intensité, digne de la grande tradition française, sont un régal. Le duo de "Cendrillon", opéra méconnu qu'avait ressuscité la grande mezzo américaine Frederica von Stade dans les années 80, confronte à la fin de l'oeuvre la Cendrillon de Marianne Croux et le Prince charmant... plein de charme et d'éclat du ténor Jean-François Marras, avant l'intervention exquise de la Fée qui bénéficie du soprano cristallin de Sarah Shine. Le couple a des accents tragiques magnifiquement décrits, la Fée se lance dans des vocalises à la Lakmé, la fin est d'une poésie et d'une délicatesse rares.

Dans "Iolanta" de Tchaïkowsky il y a Sofija Petrovic et Farrah El Dibany! C) E. Bauer

Dans "Iolanta" de Tchaïkowsky il y a Sofija Petrovic et Farrah El Dibany! C) E. Bauer

Le duo des deux soeurs de "Werther" est un peu moins bien. Si Shine se montre une charmante Sophie, les belles teintes sombres de la voix de Farrah El Dibany font une Charlotte intense mais qui manque de tragédie. Il faut qu'El Dibany apprenne l'art du jeu, et surtout sa spontanéité. Elle construit encore trop l'expressivité de son chant, on en voit les coutures...

Sofija Petrovic, impressionnante Cassandre

Quelle admirable idée de nous donner une des premières scènes des "Troyens" de Berlioz, la confrontation de Cassandre et Chorèbe, son fiancé! Cassandre, qui a deviné son sort, veut convaincre Chorèbe de fuir, mais lui refuse de partir sans elle. On comprendra un peu plus tard que cette scène des "Troyens" préfigure la présentation de l'opéra tout entier l'an prochain dans la salle de Bastille, avec une distribution de noms plus... célèbres!  Ils ont pourtant trouvé à l'Académie une vraie Cassandre, dans ces tessitures impossibles qui font le charme de Berlioz... C'est Sofija Petrovic, puissante et habitée, superbe imprécatrice avec de splendides couleurs. Le timbre est somptueux, la projection excellente, la prononciation adéquate. Dans la première partie de la scène, où Chorèbe et Cassandre se répondent, le Chorèbe de Danilo Matvienko est évidemment en retrait. Quand ils chantent ensemble cela va beaucoup mieux, les timbres se mêlent avec évidence à l'orchestre luxuriant de Berlioz, à ce tapis de cordes chatoyant. Un des grands moments de la soirée grâce à Petrovic.

Richard Strauss entre lumière et ombre

Enfin une des plus belles scènes de l'histoire de l'opéra, le final du "Chevalier à la Rose": trois femmes chantent une des pages les plus inspirées de Richard Strauss. D'un côté le couple d'amoureux, Sophie et Octavian, s'extasient sur ses sentiments et son mariage proche; de l'autre la Maréchale, dont Octavian était l'amant, s'efface, laisse la place à la jeunesse, accepte d'entrer dans l'automne de sa vie.

Derrière Fuchs et Sempey, un chanteur de profil C) E. Bauer

Derrière Fuchs et Sempey, un chanteur de profil C) E. Bauer

Ce mélange de la lumière et de l'ombre au même instant, en deux strates musicales enlacées, est certes admirable mais demande trois voix qui savent s'unir. Or, si la Sophie merveilleuse de Sarah Shine trouve un Octavian à sa mesure en Jeanne Ireland, Angélique Boudeville, et ce n'est pas la qualité de la chanteuse qui est en cause, est obligée là aussi d'alléger sa voix, nous faisant prendre conscience du travail sur le souffle effectué par les grandes Maréchales, une Schwarzkopf, une Crespin, une Fleming plus près de nous. Cela me confirme qu'il faut à Boudeville les grands rôles du bel canto, Norma, Traviata et même Tosca...

"Ah! vous êtes là, marraine, quelle bonne surprise! dit un jeune monsieur. Nous avons amené les enfants, ils notent les chanteurs sur un petit carnet, ils adooorent". En attendant les deux enfants dessinent des guirlandes. On espère qu'ils ont fait comme à l' "Ecole des fans", qu'ils ont mis 10 à tout le monde!

Concert de gala des chanteurs et musiciens de l'Académie de l'Opéra de Paris avec l'orchestre de l'Opéra dirigé par Jean-François Verdier. Airs et ensembles de Mozart, Rossini, Massenet, Berlioz, Richard Strauss. Opéra-Garnier, Paris, le 26 janvier.

Les photos ont été prises lors de la soirée du 29 janvier qui présentait la saison 2018-2019: les choeurs étaient assurés par les jeunes chanteurs de l'Académie.