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"Saigon" : les larmes de l'exil vietnamien au théâtre de l’Odéon

L’été dernier, au festival d'Avignon, ce fut l'un des spectacles le plus remarqués. "Saigon émeut, bouleverse et séduit le festival", titrait la presse. C'est cette leçon d'Histoire, ce récit émouvant qui débarque à Paris à l'Odéon. La presse et le public avignonnais ne s’étaient pas trompés : "Saigon", en 3h30 d'instants de vies intimes, raconte toute la douleur de l'exil des Vietnamiens.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Saigon sur la scène des atelier Berthier 
 (Jean-Louis Fernandez)

Dans le restaurant de Marie-Antoinette

"On se raconte toujours des histoires quand on est loin de chez soi", dit la voix off au début de la représentation. Sur la scène, un restaurant tel que sont les restaurants vietnamiens. Couleurs pétantes, néons blafards et bouddha rougeoyant. A gauche, une vraie cuisine où se préparent nems et bobuns. A droite, une petite scène et un micro pour les karaoke. Au centre, les tables des habitués.

En 1956, à Saigon, c'est encore l'Indochine. Dans le restaurant de Marie-Antoinette, il s’en raconte des histoires. Marie-Antoinette est vietnamienne mais ses parents pensaient qu’une imperatrice française serait un bon présage pour leur fille. Bienfaits ou méfaits de la colonisation, elle se prénomme Marie-Antoinette et son fils en 1939 est parti libérer la France de l’occupant nazi. Mais quand reviendra-t-il ? C’est la lancinante et désespérée question d’une mère.

Autour des tables circulent des colons alcoolisés et éberlués de ne pas comprendre que leur règne est terminé. Louise aux allures de grandes bourgeoise dégingandée titube, maltraite le petit personnel du pays avant de lui offrir l'argenterie qu'elle ne peut embarquer pour Marseille.

Une terre pour sa promise

D’autres sont soldats. Comme Edouard, amoureux transi d’une jeune femme du pays à qui il fait miroiter le bonheur en France, une terre pour sa promise. Ils partiront ensemble. Hélas, le bon soldat se dévoilera bonimenteur de sa propre existence. Pas de travail, pas de famille, pas de gloire ne les attendent à Marseille, port d'accueil en 1956. On raconte toujours des histoires lorsque l’on est loin de chez soi.

Au micro, Hao. Ce jeune beau gosse divertit les colons en entonnant les tubes de variétés. Mal lui en prend. Au moment de la libération du pays, il doit fuir. Renégat pour les siens, il a trahi. Hao abandonne son amour Mai, pour partir vers la France. Jamais il ne l'oubliera, lui, loin de Saigon. Jamais elle ne l'oubliera, à Saigon.
  (Jean-Louis Fernandez )

Un théâtre d'Histoire

Caroline Guiela Nguyen met en théâtre ces petites histoires pudiques et poignantes grâce à une mise en scène à la fois rigoureuse et foisonnante. Ces adjectifs n’iraient pas ensemble sans cette habileté à passer des années 50 à 1996 (date à laquelle le retour fut possible pour les Vietnamiens de l'étranger), des rumeurs de la rue de Saigon au quartier chinois de Paris, des brouhahas du restaurant en fête aux abîmes angoissées des dîneurs solitaires ayant perdus tout repaire.

L’exil fait perdre la tête. Les français chancellent à Saigon, les Vietnamiens à Paris retiennent leurs cris, mais dans le restaurant, l’action ne s’arrête jamais. Les langues se mélangent mais les regards s’éloignent. Le désarroi s'installe mais avec élégance. Expatriés ou exilés, leur souffrance de fantôme semble parfois la même. Et le texte n'évite pas la question des dégâts de cette colonisation.

  (Jean-Louis Fernandez)

Comme au cinéma

Saigon avec ce décor en Cinemascope, ses actions en parallèle, ces ellipses, bien sûr c'est comme au cinéma... On songe aux films de Wong Kar-Wai. Mais il y a surtout ce sens du scénario. Cette facilité à mêler les destins, les souvenirs. En quatre chapitres, le spectateurs va et vient sur les 40 ans de vie de ces personnages, et jamais il ne se perd. 

Pour bâtir ce texte, Caroline Guiela Nguyen, avec les autres membres de la compagnie "Les hommes approximatifs", est partie à la recherche d'histoires vraies. Elle-même, fille d'une immigrée vietnamienne, dit: " Pour Saigon, il nous fallait sortir de nos frontières, aller chercher des visages jusqu’au Vietnam. Durant ces deux dernières années, nous avons récolté des témoignages. Les immersions à Hô Chi Minh-Ville et dans le treizième arrondissement de Paris nous ont permis d’entendre à nouveau des récits, des mots, des langues qui m’étaient devenus inaccessibles". Cet recueil de mémoires et d'histoires fait ainsi scénario.

Au cinéma, il y a une bande-son du film. Pour Saigon, ce sera les chansons de Christophe, de Dalida ou de Sylvie Vartan. Des chansons dans le transitor ou le karaoké qui trimballent la nostalgie. Hao, revient en 1996 chez lui. Et curieusement,  c'est Aline et ses paroles" j'avais dessiné sur le sable son doux visage qui me souriait, puis il a plu sur cette plage et dans cette orage elle a disparu" qu'il chante pour raconter sa douleur.
Christophe est une véritable icône au Vietnam, il passe à la radio, dans les taxis et dans les bars. La boucle est bouclée, de Paris à Saigon, c'est toujours la même chanson.
Ajoutez une distribution de 11 comédiens, impeccables de justesse et de fragilité, et vous avez au final un mélo poignant et une leçon d'Histoire. La colonisation finit mal en général.

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