Un drame amoureux qui s'inspire d'un fait divers
Commençons par celui-ci, le drame amoureux, annoncé par le mot-slogan "fidélité" – mot qui revient au dernier acte, comme pour boucler la boucle, peu avant la fin. L'amour fidèle, "à jamais", est celui entre la très célèbre tragédienne de la Comédie française, Adrienne Lecouvreur et le Comte de Saxe, Maurice.
Angela Gheorghiu (Adrienne Lecouvreur) et Marcelo Alvarez (Maurice)
© Vincent Pontet/Opéra national de Paris
La rencontre entre Adrienne (Angela Gheorghiu) et la Princesse de Bouillon (Luciana D'intino)au Pavillon de la Duclos.
© Vincent Pontet/Opéra national de ParisMis à part le sentiment apparemment honnête liant Adrienne au comte (qui au début se fait passer pour un simple officier au service du comte), la fidélité, en réalité, n'est pas ce qui caractérise les relations dépeintes dans cet opéra. Le prince de Bouillon drague allègrement les comédiennes du Français avec son ami l'Abbé de Chazeuil, et entretient une relation plus stable avec la Duclos, l'autre grande comédienne de la troupe. Sa femme, la princesse, croit encore en sa relation avec son beau Maurice qui, par opportunisme politique, feint de l'aimer mais ne s'intéresse qu'à Adrienne… Trahisons, secrets, ruses, jalousies, veuleries, sont plutôt le lot quotidien.
Palette d'émotions musicales
L'intrigue est un peu compliquée, fourmillant de détails presque vaudevillesques, et le livret n'est pas riche en nuances pour autant. Mais on se laisse complètement emporter par cette longue histoire en quatre actes, grâce à la musique de Francesco Cilèa - compositeur "vériste" (proche du naturalisme) italien, contemporain de Mascagni et Giordano - qui offre, elle une palette étendue d'émotions, de la légèreté comique à la tension dramatique, en passant par la joie de l'idylle…La distribution, très internationale (correspondant à une coproduction des opéras de Londres, Barcelone, Vienne, San Francisco et Paris) fait dans sa globalité, largement honneur à la partition de Cilèa. La soprano roumaine Angela Gheorghiu, très charismatique en Adrienne, brille moins par la puissance que par la finesse de son timbre, notamment dans les aigus. La puissance vocale, elle, ne maque pas à la mezzo-soprano italienne Luciana d'Intino, à l'aise dans tous les registres. Chez les hommes, les ténors argentins Marcelo Alvarez et Raul Gimenez campent avec talent respectivement le comte de Saxe et l'Abbé de Chazeuil, tandis que le baryton italien Alessandro Corbelli incarne avec justesse et conviction (notamment avec une articulation parfaite) le régisseur secrètement amoureux d'Adrienne, Michonnet.
Théâtre dans le théâtre
L'autre thème de "Adriana Lecouvreur" est le théâtre, entendu au sens large : les planches, le théâtre parlé, chanté, dansé. L'héroïne est, au XVIIIe siècle, une tragédienne élevée au rang d'icône, admirée, aimée et protégée par Voltaire. Aussi emblématique qu'une Sarah Bernhardt ou qu'une Rachel – qui, chacune, ont interprété Adrienne Lecouvreur au théâtre ou au cinéma. Son principal apport, avoir libéré la déclamation de la Comédie française en la rendant plus simple et plus réaliste. La mise en scène de David McVicar lui offre cette aura, admirablement servie par les lumières de Adam Silverman. Avec Adrienne, toute la profession est sous les projecteurs, avec un luxe de détails rarement atteint, des costumes (magnifiques, de Brigitte Reiffenstuel) à l'architecture.
"Adriana Lecouvreur" de Francesco Cilèa à l'Opéra Bastille, à Paris
Direction musicale de Daniel Oren
Mise en scène de David McVicar
Jusqu'au 15 juillet 2015 à 19h30