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"Et in Arcadia ego" : un "best of" de Rameau mis en scène par Phia Ménard à voir sur Culturebox

A l'Opéra comique puis sur Culturebox, "Et in Arcadia ego", Rameau en version "best of" : une compilation de danses et d'airs, orchestrée par Christophe Rousset. Seule sur scène, la mezzo-soprano Léa Desandre chante le récit d'une vieille dame qui se prépare à mourir : tourments identitaires, doutes d'une vie livrés, sans cohérence d'ensemble, par la metteure en scène Phia Ménard.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Léa Desandre dans "Et in Arcadia ego".
 (Pierre Grosbois)

"Et in Arcadia ego" ? De Rameau ? Ne cherchez pas. L’opéra n’existe pas dans l’œuvre du compositeur français du XVIIIe siècle. Le spectacle proposé à l’Opéra comique et que vous pouvez voir sur Culturebox est un montage. Au même titre que l’était "Miranda", proposé Salle Favart il y a quelques mois, d’après la musique de Purcell et une oeuvre de Shakespeare, avec la mise en scène de Katie Mitchell.

Reportage France 3 Paris Ile-de-France

Rameau : le meilleur de l'oeuvre orchestrale

A la différence près qu’ici le livret n’est pas écrit sur une trame littéraire préexistante et ancienne, mais construit ex-nihilo et avec une patte résolument contemporaine : sur une idée de la metteure en scène et performeuse Phia Ménard, avec les mots du romancier à succès Eric Reinhardt.
La musique, elle, est un "best of" de l’œuvre orchestrale de Jean-Philippe Rameau, les "symphonies" de ses opéras, des "Fêtes d’Hébé" à "Castor et Pollux", des "Indes galantes" à "Zaïs", d’"Hippolyte et Aricie" aux "Surprises de l’amour". Son maître d’œuvre : Christophe Rousset, patron des Talents Lyriques, spécialiste baroque s’il en est, et très fin connaisseur de Rameau. Une seule chanteuse soliste est sur scène incarnant le rôle principal de Marguerite, la mezzo-soprano Léa Desandre, épaulée par le chœur, qui assume tous les autres rôles.

Pastiche

"Et in Arcadia ego" – dont le titre est emprunté à des tableaux du Guerchin et de Poussin -  est donc une invention totale, un pastiche. Et cela ne doit pas choquer, quand on sait que les emprunts et les transformations musicales sont légion dans le baroque, et que la réécriture de textes sur une même musique est à la base des "parodies" par exemple, ou des "noëls" : sur une même mélodie (le "timbre"), on a pu tout aussi bien composer un chant de la nativité qu'une chanson à boire ! On ne s’offusquera donc pas sur le principe de cette réécriture. Reste que sa réception ne va pas de soi et quelques huées n'ont pas manqué lors de la représentation à laquelle on a assisté, à la fin du spectacle.
L’histoire est simple : "Et in Arcadia ego" est la chronique d’une mort annoncée, mort imminente même, celle d'une dame qui a 95 ans au début de la narration, mais une apparence d'éternelle jeunesse, et qui sait depuis 72 ans la date et l'heure de sa mort. Mais ce qui compte est moins la tentation faustienne de la maîtrise de sa vie (et de sa mort) que la description des tourments existentiels et identitaires d'une femme qui a toujours vécu difficilement avec son corps. "Et in Arcadia ego" parcourt cette tension de vie, comme par des flash-backs, à travers trois grandes périodes : l'enfance ou plutôt son éloignement avec l'arrivée de l'adolescence, l'âge adulte, et enfin la vieillesse et la marche vers la mort.

Trois narrations inégales

La production de Phia Ménard offre trois types inégaux de narration : une narration écrite, d'abord, affichée sur un vaste panneau comme les cartons du cinéma muet. Parole simple, vive, qui dit la solitude, la difficulté d'être, le désir de Marguerite de "faire advenir l'image qui puisse me révéler". Ecriture parfois elliptique, qui rejoint certaines formes littéraires déconstruites comme celle d'un Pierre Guyotat, jusqu'à extinction même de la phrase articulée, langue désossée à mesure que les années passent pour l'héroïne, et que se dessine l'approche de la mort. Du très beau Eric Reinhardt.
La narration écrite, signée Eric Reinhardt, dans "Et in Arcadia ego" à l'Opéra comique.
 (Pierre Grosbois)
La deuxième narration est musicale. Belle succession, et dans un contraste réussi, des chaconnes, gigues, rondeaux et autres danses qu'affectionne Rameau, et des airs portés très honorablement par Léa Desandre. Mais le décalage n'est pas toujours heureux entre cette richesse et le texte chanté, entièrement réécrit par le même Eric Reinhardt, en reprenant la prosodie des rimes originales. Il trahit un propos parfois léger ou très banal, quand il parle par exemple des affres de la célébrité acquise par Marguerite. On y évoque la "gloire" de "la star", puis les "groupies" : "votre poison, c'est d'être comme un miroir", dit le texte. L'humour tourne parfois au ridicule.

Pas de cohérence

Il y a enfin l'écriture scénique, signée Phia Ménard. Pas toujours convaincante dans la description de l'enfance, elle est remarquable de simplicité et d'évocation quand elle ne repose que sur les prouesses de la lumière : jeu de clair-obscur, aveuglement de spots, effets de perspective… De jolis tableaux qui jouent sur l'évocation de la solitude, du rapport à l'univers, à la mort. Si "Et in Arcadia ego" enchante ainsi par quelques moments de suspension poétique et musicale, l'opéra manque de cohérence et d'unité pour donner à la réécriture contemporaine de Rameau chair et sens.

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