Elektra, héroïne hallucinée de Richard Strauss. Une heure et demie de paroxysmes sonores mais (pour paraphraser Debussy) « avec tout le confort moderne ». 1909, quatre ans avant « Le sacre du printemps », une musique furieuse, excessive et noire avec soudain des beautés viennoises, une tendresse voluptueuse: l’or et l’acier, le tranchant et la caresse (Stravinsky, dans «Le sacre », enlèvera l’or et les caresses !). De ce personnage de la tragédie antique, Strauss, qui s’était déjà essayé à une Salomé sensuelle et folle, fait une obsessionnelle névrosée.

vue d'ensemble (Mai Musical Florentin)
© Gianluca MoggiAucune couleur sur ce tumulus, seules des ombres grises virant à l’anthracite (magnifiques lumières de Peter Van Praet). Clytemnestre, vêtue de blanc, entre, portée sur un grand lit blanc. Freud encore : elle veut en « finir avec ses rêves» en forme de remords, « faits de sang et de ténèbres ». Clytemnestre n’est pas l’habituelle mégère (elle ne l’était pas non plus chez Chéreau), c’est une reine amoureuse, meurtrière d’un homme qui la négligeait, et c’est la même interprête que chez Chéreau qui l’incarne, la grande Waltraud Meier.
https://videos.francetv.fr/video/NI_139813@Culture

Irene Theorin (Elektra) à gauche de dos et Waltraud Meier (Klytämnestra)
© Opéra national de Paris/ Charles DupratOui, belle mise en scène « freudienne » mais que Robert Carsen ne surligne jamais : elle est une toile de fond, elle laisse se dérouler la tragédie. Dommage alors que les interprètes ne soient pas toujours à la hauteur. Irene Theorin a la vaillance du rôle mais la voix, qui peine dans l’aigu, souvent en limite de justesse, est pauvre de couleurs et de nuances. Ricarda Merbeth, qui fut Makropoulos en septembre, a, elle, de beaux aigus mais les graves n’ont pas de puissance. Waltraud Meier, magnifique ligne de chant, manque étrangement de projection. Evgueni Nikitine, voix de bronze, est un Oreste trop éclatant, sans ambiguïté, sans fêlure. Dans les petits rôles, j’ai noté le superbe timbre grave de la 3e servante, Heike Wessels.
Les qualités du chef Philippe Jordan nous sont bien connues mais des défauts apparaissent! Tout à la volupté sonore qu’il obtient de son orchestre (la clarinette !), il oublie les voix et, souvent, les couvre. L’inspiration viennoise de l’écriture de Strauss est magnifiquement mise en valeur, comme les références wagnériennes, mais c’est au détriment de la modernité de l’écriture.
Au moins cette « Elektra » (d’ailleurs fort applaudie) bénéficie d’une vraie conception de mise en scène, et qui ne trahit pas l’œuvre, ce qui n’est pas si fréquent.
Elektra à l'Opéra Bastille
Tragédie en un acte de Richard Strauss (1909)
8 représentations du 27 octobre au 1er décembre 2013
120 rue de Lyon, Paris XIIe
Réservation : 0892 89 90 90
Direction musicale : Philippe Jordan
Mise en scène : Robert Carsen
Chef du Choeur : Patrick Marie Aubert