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Quand Simon Ghraichy propulse le récital classique au 21e siècle

Mardi soir à Paris, le pianiste Simon Ghraichy, chaussures argentées et chevelure insolente, a fait souffler un vent d'audace et de poésie dans un temple parisien très vénérable de la musique classique, le Théâtre des Champs-Élysées. Pour porter "33", son projet discographique très personnel, il a fait appel à de l'électro, de la vidéo, à une danseuse... et à un invité de marque, Chilly Gonzales.
Article rédigé par franceinfo - Annie Yanbékian
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Simon Ghraichy et le sablier, l'un des objets présents dans sa scénographie...
 (Antonin Menichetti)

On le savait déjà audacieux, rieur, impertinent, avec ses bouclettes irrésistibles et les costumes exubérants qu'il a pris l'habitude de porter sur scène. Non content d'être un pianiste virtuose et attachant, aux choix musicaux éminemment personnels, Simon Ghraichy, 33 ans (d'où le titre de son dernier album sorti chez Deutsche Grammophon), semble fermement décidé à marquer les esprits sur scène - et pas seulement par son jeu fougueux.

Failles secrètes

Pour célébrer la sortie de “33”, plutôt qu'un récital instrumental traditionnel, le pianiste aux origines libano-mexicaines a proposé un spectacle hors norme baptisé “Humoresken”. Ce titre est inspiré d'une œuvre de Robert Schumann, "Humoreske", dont la partition atypique, peut-être hantée par les premiers signes de la folie qui allait faire sombrer le compositeur allemand, a ébranlé Simon Ghraichy. La résonnance inattendue de cette œuvre sur son propre psychisme a exhumé, chez le pianiste trentenaire, la douleur d'un drame personnel ancien autour duquel allait s'articuler le répertoire du disque. ll a mis cette pièce au centre de son projet "33", un album destiné dès le départ à ne rien cacher de ses failles secrètes.

Voix intérieure

La partition de l'"Humoreske" de Robert Schumann comporte une curiosité : une troisième voix supposée être chantée intérieurement par l'interprète, et que le compositeur a appelée "la Voix Intérieure". Sur scène, Ghraichy en a fait à la fois une sorte d'alter ego et, non sans malice, un subterfuge pour détourner le protocole des récitals classiques où l'artiste n'est pas supposé prendre la parole.

Qu'à cela ne tienne, sans ouvrir la bouche, Simon Ghraichy s'est exprimé ! Ses interventions, l'une en première partie, et l'autre à la fin du concert, étaient préenregistrées dans un boîtier magique en forme de cube posé à côté du piano... La "Voix Intérieure" rêvée par Schumann était bien présente dans la salle ! D'une part grâce à ce boîtier à effets, mais aussi parce qu'elle était incarnée par l'invité-vedette de Simon Ghraichy, Chilly Gonzales. Le pianiste canadien a en effet composé une pièce, "Robert on the Bridge", inspirée de cette entité mystérieuse. En seconde partie, il est venu la jouer en duo avec Ghraichy, sur un piano droit positionné face à celui de son hôte.

Effets électro

Après l'entracte, la scénographie n'a laissé aucun espace pour les applaudissements jusqu'à la fin du spectacle. Avec son boîtier magique qu'il frôlait avec emphase, Ghraichy glissait des intermèdes électro, tels des virgules, entre chaque pièce...

Un petit teaser d'avant-concert, posté sur Facebook par le compositeur Jacopo Baboni Schilingi, qui a écrit une pièce pour "33"
Dans le répertoire de “33” et sa projection scénique "Humoresken", cohabitent les thèmes du temps qui passe, de la folie, de l’eau et de la mort, à l'image de la magnifique chanson "Alfonsina y el Mar" d'Ariel Ramirez, dont Ghraichy a fait une transcription libre et inspirée. Le programme se dévoile au cœur d’une scénographie très contemporaine, poétique, parfois décalée, avec des projections vidéo, une penderie au fond de la scène et, en seconde partie, un moment d'obscurité totale, une danseuse “derviche tourneuse” (Rama Gorgani), des personnages énigmatiques parmi lesquels le compositeur Jacopo Baboni Schilingi qui écrit une partition sur le dos dénudé d'un inconnu... Schilingi a signé pour Ghraichy une pièce virevoltante, "Huge", pour piano et MAO (musique assistée par ordinateur). Au moment de la jouer, le pianiste a saisi un ordinateur portable et le Théâtre des Champs-Élysées, temple centenaire, a été inondé de sonorités électro percussives...

Une belle audace

Certes, Simon Ghraichy n'est pas le seul artiste issu du classique à avoir glissé de l'électro dans ses musiques et ses projets. D'autres pianistes comme Francesco Tristano et Vanessa Wagner ont également cassé les cloisons entre ces univers. En posant son récital au cœur d'un spectacle pluridisciplinaire, tel que ceux que l'on peut trouver sur les scènes des musiques actuelles, Simon Ghraichy a frappé fort. Bien sûr, on peut se demander si ces contrepoints visuels et théâtraux mûrement réfléchis, à la dimension autobiographique assumée, ne risquent pas parfois de faire interférence à l'écoute de la musique plutôt que de la servir. Mais l'expérience mérite d'être tentée. Mardi soir, le public a apprécié. On ne peut que saluer l'audace de Simon Ghraichy. Réjouissant.

"Humoresken"
Interludes musicaux (et calligraphie) : Jacopo Baboni-Schilingi
Mise en scène : Yannick Foratier
Crédit vidéo : Antonin Amy-Menichetti

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