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"Bach to the future" : l'organiste Olivier Latry offre Bach à Notre-Dame de Paris

"Bach to the future" : dans son nouveau disque (édité par le beau label La Dolce Volta), l'organiste Olivier Latry propulse le maître baroque dans le futur, celui du grand-orgue 19e de Notre-Dame dont il est l'un des trois titulaires à vie. Rencontre, en la cathédrale, avec un musicien passionné, brillant et espiègle juste ce qu'il faut.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
L'organiste Olivier Latry en janvier 2019.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Regardez avec attention la pochette du disque qui sort ces jours-ci chez La Dolce Volta, "Bach to the future" : sur la photo, un homme aux yeux fermés gît, à l'horizontale, comme en posture définitive mais en lévitation, à quelques centimètres du sol.

La couverture du disque "Bach to the future"
 (La Dolce Volta)
L’homme, c’est Olivier Latry : sous ses dehors altiers, le titulaire (avec deux autres collègues) de l'orgue de Notre-Dame – charge ô combien respectée - cultive l’humour noir et l'espièglerie discrète.

Balcon avec balustrade à 16 mètres du sol

Olivier Latry, nous l'avons rencontré il y a deux mois, en plein enregistrement de ce disque consacré à des œuvres de Jean Sébastien Bach, justement, en la cathédrale. Rendez-vous à 18 heures : l'entrée se fait par le presbytère, l'escalier en colimaçon donnant accès, après quelques marches, au balcon avec balustrade à 16 mètres du sol, qui abrite l'orgue et son instrumentiste. La vue y est imprenable sur la nef, mais le regard peut aussi se promener en surplomb sur une foule encore dense qui, à la fermeture (peu avant 19 heures), fond comme neige au soleil en une dizaine de minutes.
L'orgue de Notre-Dame de Paris. 
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)
L'église s'est entièrement vidée : "En réalité, on n'est jamais seuls, le lieu est particulièrement habité", lance, avec sa voix de baryton et un long rire sonore, Olivier Latry. Trente-trois ans que le musicien est à ce poste, il n’en est pas pour autant blasé et se dit "sidéré" à chaque fois qu'il rentre dans la cathédrale, devant un tel spectacle d’immensité.

Apprivoiser l'orgue Cavaillé-Coll de Notre-Dame

Dans son antre, là-haut, commence alors une activité intense qui va le mener jusque tard dans la soirée ou la nuit. Mais il en faut plus pour le décourager. "Le lieu m'énergise : même si j'arrive fatigué, je repars en pleine forme. Rien que regarder, s'imprégner de la pierre". A cette heure-là, le moment est propice au travail de préparation et d’enregistrement, avec pour seuls complices un accordeur, Itaru Sekiguchi, et l'orgue, un immense Cavaillé-Coll de 1868 (mais dont la première facture remonte à 1733), aux 8.000 tuyaux visibles dans une pièce attenante.
La machinerie de l'orgue de Notre-Dame de Paris. 
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)
Il a fallu à Latry d'abord cinq ans d'apprentissage pour appréhender la machine et il faudra "une vie entière", dit-il, pour "dompter son incroyable personnalité". "Il faut vraiment lui dire : attention, c'est moi qui commande", explique-t-il. "Mais si l'instrument n'a pas envie de jouer, il ne jouera pas. Il faut trouver un terrain d'entente".
Olivier Latry jouant sur la console moderne de l'orgue de Notre-Dame de Paris
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)
C'est dire la complexité de l'orgue. Sans parler de la console électrique, elle, ultra-moderne, avec ses pédales, ses dizaines de boutons en bois et cinq claviers centraux qu’il a fallu aussi maîtriser.

Bach joué à l'orgue de la cathédrale, cela ne va pas de soi

Les premières heures de la soirée se passent, avec le facteur, "à travailler sur les registres qui risquent de se désaccorder dans les jours suivants : surtout ce qu'on appelle les jeux d'anche (les jeux brillants qui font l'éclat de l'orgue, ndlr) et notamment les chamades qui sont juste horizontales, devant l'orgue", explique le musicien. "Toccata et fugue en ré mineur", "Passacaille" et "Pièce d'orgue", sont les premières enregistrées pour cette raison.
Pour son premier disque chez La Dolce Volta, l'organiste enregistre donc Bach en la cathédrale Notre-Dame. Ça n'a l'air de rien, et pourtant, l'entreprise relève de la gageure sur le plan musicologique : l'orgue de la cathédrale est un instrument symphonique, très éloigné de la facture baroque et classique de Bach.

Transcription obligatoire

C'est justement le défi que se lance Olivier Latry. "C'est l'orgue lui-même qui m'a donné la solution, qui est d'aller dans le sens de l'orgue justement, il y a du matériau sonore à exploiter. Parce que la caisse de résonnance de l'orgue, c'est bien la cathédrale. On est en quelque sorte ici dans l'instrument. C'est la raison pour laquelle quand on se promène n'importe où dans la cathédrale, on peut ressentir les vibrations des trempes de pied alors qu'on est à cent mètres, caché derrière un pilier, et on va ressentir ce son qui va vous envelopper".

Jouer Bach sur l'orgue de Notre-Dame oblige donc à une adaptation. "Il faut en quelque sorte imaginer une transcription de l'œuvre pour cet instrument". Première étape, l'organiste a choisi les pièces à dessein : "ici c'est une musique plutôt de masse qu'il faut imaginer. Ce ne sera pas le Bach des Sonates en trio, pas le Bach de la musique de chambre", dit-il. "La Passacaille" ? "Ça marche, mais dans une forme de masse sonore, là encore", explique Latry., "c'est-à-dire : crescendo, decrescendo, etc".

Faire entendre les couleurs

Deuxième étape, il faut selon le musicien, varier beaucoup la couleur : "faire entendre des voix justement parce que la cathédrale fait que la polyphonie va se brouiller complètement. Si on veut trouver une forme de clarté, il faut avoir des timbres différents pour chaque voix, un peu de gymnastique parce qu'il faut jouer sur plusieurs claviers à fois".

Le disque "Bach to the future" est aujourd'hui disponible : l'espace de la cathédrale y est perceptible, par exemple, dans le "Ricercare à 6". On appréciera son phrasé qui valorise la délicatesse de l'amorce, comme susurrée dans l'intimité, avant la puissance des crescendos. Intensité qui sied à merveille au célébrissime début de  la "Toccata et fugue en Ré mineur" ou à celui de la "Fantaisie en Sol mineur," alors qu'à l'inverse la "Pièce d'orgue" offre dans sa conclusion une légèreté aérienne. Bouleversante enfin la charge émotive qu'Olivier Latry communique dans le "Choral Erbarm' Dich Mein, o Herre Gott" pièce qui s'insère à merveille dans l'écrin de Notre-Dame.

Spiritualité

Car il est question aussi, ici, de dimension spirituelle : certes, Olivier Latry interprète des œuvres clé du protestantisme dans l'un des lieux emblématiques du catholicisme, c'est l'un des paradoxes de ce disque, explique-t-il dans le livret de l'album. Mais qu'importe, au fond. Seul compte l'engagement.

Olivier Latry vit son métier comme "une vocation sacerdotale". "De toute façon un artiste est quelqu’un qui est forcément relié à autre chose", lance Olivier Latry. "Alors on l’appelle Dieu, on l’appelle comme on veut. Un artiste doit être juste le vecteur entre deux dimensions, une terrestre et une… autre. Combien de fois je me suis dit en jouant et surtout en improvisant : mais c’est moi qui fais ça ? Ça prouve bien qu’il y a autre chose. L’artiste est avant tout le pouvoir de l’abnégation et de l’humilité. Nous sommes des serviteurs de l’art, rien de plus".



Olivier Latry est en tournée européenne.
Quelques dates en France : le 15 juin à Lille, le 2 août à Prades, le 7 août à Celles-sur-Belle, les 22 et 23 août à Dieppe, le 27 août à Notre-Dame de Paris, le 28 septembre à Lyon, les 3 et 4 octobre à Strasbourg, le 18 décembre à Paris (Radio-France).

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