"Les faits ne se contentent pas d'arriver, ils reviennent", avait-t-elle prévenu à l'entrée du roman. "Qu'on les accepte ou non, ils sont plus insistants et plus entêtés que les stratagèmes qu'on invente pour les éviter. Ecrire fait partie de ces stratagèmes. On croit contrôler, répartir, organiser et tenir le réel sous sa coupe et la plupart du temps on se laisse déborder." C'est tout l'enjeu de ce récit : découvrir qu'en frictionnant le monde, "on a seulement essayé de retrouver ce qui avait eu lieu et qu'on avait oublié".
Cauchemar et microscope
"Mécanisme de survie en milieu hostile" est le roman d'un deuil. Il y a d'un côté le récit onirique, un songe qui reprend des éléments de la réalité et les déploie dans un cauchemar : dedans et dehors intérieur et extérieur, fuite, chasse, traque, monde sans contour, sans noms et sans visages. De l'autre -paragraphes en italique intercalés- la description clinique de phénomènes liés à la mort : coma, EMI (Expérience de Mort Imminente), scènes de crime, rigidité cadavérique, putréfaction des corps, manière de mettre à distance cette chose inexplicable et effrayante qu'est la disparition d'un être cher, de conjurer la mort. "Il faut donc revenir aux faits, aux chiffres, à l'appréhension directe des corps souffrants, agonisant, défunts, il faut consentir au dégoût, regarder les morts au lieu de les imaginer, il ne faut plus fuir".
La fin du deuil
Il y aura le bout du chemin, la fin du cauchemar et une lueur permettant à la narratrice de regarder une silhouette disparaître dans les ténèbres sans se sentir coupable (ou victime) d'abandon. Un apaisement de la douleur rendu possible par le récit-même qui en a été fait, la narration comme salvation.
"Mécanisme de survie en milieu hostile" est un roman troublant, dans lequel on entre comme dans un songe, qui laisse donc une place importante à l'interprétation. Une expérience de lecture étrange, comme si l'auteur creusait une brèche dans l'inconscient du lecteur, mettant à nu ses propres frayeurs et ennemis intérieurs, le questionnant sur cet incommensurable mystère qu'est la mort, tout cela dans un récit déroulé comme un thriller SF.

Extrait :
"Je me coule dans l'interstice étroit que la main m'indique, je m'introduis au plus profond, l'espace se distend pour m'accueillir, le mur respire et s'ouvre, je me tasse, la main et le corps s'interposent et me cachent, nous sommes enfoncés derrière des planches et nous tenons joints comme deux morceaux de bois brut.
La rigidité cadavérique est due à la perte d'élasticité des tissus et plus exactement à la coagulation de la myosine, une protéine présente dans les muscles. Elle débute à la nuque et s'étend petit à petit aux membres inférieurs. Elle atteint son intensité maximale environ vingt-quatre heures après la mort et commence à décroître à partir du deuxième jour."
Olivia Rosenthal est née en 1965 à Paris. Son premier roman "Dans le temps" a été pulié en 1999 aux éditions Verticales. Elle en a publié neuf chez cet éditeur, notamment "Mes petites communautés" (1999), "Les fantaisies spéculatives" de J.H. le sémite (2005), "On n’est pas là pour disparaître" (2007, prix Wepler), ainsi qu’une satire initiatique "Les Sept Voies de la désobéissance "("minimales, 2004) et "Ils ne sont pour rien dans mes larmes" (minimales, 2012). Elle a reçu le Prix du Livre Inter en juin 2011 pour "Que font les rennes après Noël ?" Elle est également l’auteur de deux récits dans le cadre de son projet "Architecture en paroles" : "Viande froide" (éd. Lignes/104), et "Maison d’arrêt Paris-La Santé" (éd. Paris Musées/Carnavalet). Olivia Rosenthal est également auteur pour le théâtre ("Les félins m’aiment bien" (Actes Sud-Papiers, 2004) ; "Les Lois de l’hospitalité, Inventaire / Invention"(2008). La romancière travaille également à des performances avec des cinéastes, écrivains, plasticiens, compositeurs et a fondé avec Lionel Ruffel l’un des premiers masters de création littéraire à l’Université Paris-8 Saint-Denis. (Source Éditions Verticales).