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Interview Louis Bertignac revient aux "Origines" de sa musique

Pour son dernier album qui sort ce 16 novembre, Louis Bertignac a choisi d'adapter en français des classiques du rock : Rolling Stones, Beatles, Who, Dylan, Clapton, Police... Un exercice réussi qui donne une nouvelle couleur aux morceaux, qu'il a lui même réécrits et enregistrés seul, à la maison, comme un adolescent dans sa chambre. Il nous a raconté ce retour à ses influences, à ses origines.
Article rédigé par Jean-François Convert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Louis Bertignac (Yann Orhan)

Louis Bertignac est comme on se l'imagine : même par téléphone, on ressent instantanément une sympathie, une chaleur, une proximité, comme si on discutait avec un ami, en toute simplicité. Si en plus c'est pour parler des Stones, des Beatles, de Dylan... alors que demander de plus ?

Culturebox : Comment c’est venu cette idée faire un album d’adaptations, "Origines" (Verycords) ?
Louis Bertignac : Au début c’est venu grâce à Rod Stewart. J’étais dans la voiture, j’écoutais cet album "Time" que je trouvais pas mal pour un album récent de lui. Je suis tombé sur cette chanson que je me suis remis 3-4 fois à la suite tellement elle m’a plu, autant au niveau du texte que de la musique. Et je me suis mis à chanter dessus en français, et j’ai eu envie de l’enregistrer le soir à la maison, comme ça…

Je crois bien que c’était pour voir si j’étais capable de traduire le texte, d’écrire en français sur cette musique. Et le résultat m’a plu. Et pendant les semaines qui ont suivi, je me suis amusé à essayer d’en faire d’autres, que ce soit traduites, ou carrément adaptées à ma façon, en racontant ma vie dessus. Et ça me plaisait, mais le but n’était vraiment pas de faire un album au départ, c’était un exercice de style. Après cette longue tournée des Insus, c'était voir si j’étais encore capable d’écrire des textes, ce que je n’avais pas fait depuis au moins 5 ou 6 albums. Je n’avais plus confiance au niveau de l’écriture, je crois que je voulais trop bien faire, et dès que je commençais à écrire, ça ne me plaisait pas. Je voulais mettre de la poésie, je voulais raconter comme Dylan est capable de le faire, ou comme Jean Louis [Aubert NDLR] est capable de le faire : parler de la société, des choses importantes, et je n’en étais pas vraiment capable, je ne suis pas très doué en poésie [Rires], je n’en ai jamais lu, donc je ne m’estimais plus capable d’écrire des chansons.

Et puis grâce à ces morceaux anglo-saxons, je me suis dit qu'eux ils écrivent un peu leur vie en général, sans se prendre la tête avec des histoires poétiques. Et ça m’a mis le pied à l’étrier. Morceau après morceau, je me suis amusé, pour travailler, pour un exercice de style, pour me remettre à l’enregistrement, retravailler le son, la musique. Et doucement, ça m’a plu, et des potes qui passaient me disaient "c’est génial, il faudrait que tu fasses un album". Et puis mes amis [Rires] de ma maison de disques sont venus pour parler du live qu’on avait sorti il y a quelques mois, et je leur ai fait écouter quelques morceaux, et ils ont dit "c’est génial, il faudrait que tu fasses un album !". Et je leur ai dit "mais c’est compliqué à cause des droits, si on modifie les textes, etc…" et ils ont dit "si tu veux on s’occupe de tout ça". Alors je leur ai dit : "si vous vous en occupez, je fais l’album".

Reportage : E. Cornet / D. Bassompierre / M. Cargnino / S. Lacombe

 
Est-ce qu’il a fallu demander la permission aux artistes ?
Oui exactement. Il faut absolument la permission. Soit ils ne répondent pas, soit ils disent ok mais à condition de faire en anglais, ce qui n’était pas le propos, soit ils ont dit d’accord à condition que je m’engage à ne rien demander en droits sur les chansons, et j’ai dit ok, on va faire comme ça. Pour chacun, il a fallu d’abord réaliser le morceau, leur envoyer une maquette, et traduire en anglais ce que j’avais écrit. Pour la plupart ça s’est bien passé. Mais c’est aussi pour ça qu’il n’y a pas de Hendrix ou de Led Zep sur l’album.
 
Oui effectivement, connaissant vos idoles et influences, on remarque quelques grands absents
Ils ont dit non, ou n’ont pas répondu comme Led Zep. Pour les Beatles, j’avais fait "Sexy Sadie", et ils ont dit non, alors que par bonheur, la bande d’Harrison a dit oui. Mais ce n’est pas très grave, parce que ma "Sexy Sadie" n'était pas très intéressante, alors que je voulais faire à tout prix "While my guitar gently weeps", c’était presque une condition sine qua non pour faire cet album, elle était trop importante celle-là.
  (Yann Orhan)
Il y a plusieurs chansons que vous repreniez déjà en version originale en concert. Comment vous êtes-vous réapproprié le texte pour réécrire dessus ?
Ça n’a pas été forcément les plus simples. Pour l’écriture elles n’ont pas été plus compliquées que les autres, mais pour les chanter… Je les ai tellement chantées en anglais que de temps en temps, par exemple à la fin du solo, j’ai tendance à vouloir reprendre en anglais ! [Rires]. Mais depuis que je n’arrête pas de les jouer, ça vient plus facilement, je ne suis plus bloqué par l’anglais.
 
Dylan, Harrison et Clapton sont très présents. C’était voulu ?
Ce n’est pas prémédité, c’était au jour le jour. Si j’ai fait telle ou telle chanson, par exemple "Dead Flowers" plutôt que d’autres des Rolling Stones que je trouve meilleures, c’est parce que ça me parlait, que le texte me parlait. Avec "Dead flowers", je trouvais que je pouvais apporter autre chose à la musique, des arrangements un peu plus actuels. Je voulais un arrangement un peu country-rock moderne, chose que je ne pouvais pas faire sur scène comme j’étais la plupart du temps en trio.

Les chansons de Dylan elles me parlent, à part "Precious Angel" où je ne parle pas du tout du même sujet que Dylan qui parle de Dieu [sur l’album "Slow Train coming", premier d’une trilogie consacrée à sa conversion d’alors au christianisme – NDLR]. Moi je ne voulais pas parler de ça parce que je ne suis pas religieux, mais j’ai toujours cru que cette chanson parlait d’une petite fille, je ne savais pas que c’était un vrai ange ! [Rires] Ce morceau me faisait penser à ma fille, une de mes deux filles, alors j’ai eu envie de la chanter pour elle et de la traduire sans faire gaffe, j’ai toujours pensé que c’était pour elle. Et puis en essayant de parler à ma petite fille, avec ce deuxième couplet et cette histoire d’âge et d’amour, ça s’est transformé en chanson pour ma compagne.
C’est aussi ce qui fait la force de ces chansons, c’est de pouvoir y trouver l’interprétation que l’on souhaite...
Oui, surtout quand on est Français et qu’elles sont en anglais ! [Rires] Oui ça m’a toujours plu de ne pas trop comprendre les textes et de pouvoir mettre ce que je voulais dessus, dans ma tête. En les réécoutant, j’ai été surpris. "Morning has broken", c’est pareil ça parle de Dieu, Cat Stevens a gardé les paroles originales [la chanson est un hymne chrétien écrit par la poétesse anglaise Eleanor Farjeon en 1931 – NDLR].
 
Sur "Ma gueule" qui reprend l’idée originale de "Won’t get fooled again" de Pete Townshend, est-ce que ce texte vous semble toujours d’actualité ? [texte un rien désabusé sur la politique – NDLR]
Oui bien sûr. En 40-60 ans rien n’a changé, c’est toujours un peu la même chose. On râle toujours pour les mêmes trucs et y’a rien qui change dans tout ça. J’ai connu ça tout le temps, depuis que je suis gosse, 68 et puis voilà ça recommence. Et je trouve ça légitime de râler, de faire entendre son opinion quand vraiment on en a marre.

C’est un peu désabusé comme vision ?
Oui bien sûr, mais c’est déjà ce que raconte l’original : "rien n’a changé, et y’a que les barbes des mecs qui râlent qui ont poussé !". "L’évolution je suis pour et dès que ça gueule révolution, je sais que ça va être la cata, je me débranche tout de suite". Ça me rappelle qu’à chaque fois, la révolution c’est "on va donner le pouvoir au peuple" et puis ça finit toujours en dictature.
  (Yann Orhan)
Vous avez tout enregistré dans votre studio, et vous jouez tous les instruments ?
Oui. Sauf le violon de "Dead Flowers (Descends-moi)", parce que je ne sais pas en jouer, et du coup c’est un ami voisin qui s’occupe de mes guitares et qui joue aussi du violon. Et puis un peu les chœurs aussi, où c’est ma famille, mes filles, ma femme, par exemple sur "Mais qui c’est" ou à la fin de "Jeune à jamais".
 
Est-ce que vous avez déjà envisagé de faire une tournée uniquement acoustique ?
Je l’ai déjà fait, en 1993. Et là actuellement comme je dois jouer les titres en radio ou télé, je les fais en acoustique et j’adore, je m’éclate. Donc quelques concerts en acoustique, oui pourquoi pas. Mais partir "en tournée" ça me tente moins. Je préfère les concerts un peu éparpillés. J’ai un petit gosse qui a bientôt 2 ans, et je ne veux pas rater sa jeunesse comme j’ai raté un peu celle de mes filles, je veux être présent.
 
Surtout que les 2-3 dernières années ont été plutôt denses avec les Insus. D’ailleurs : un projet d’album ?
Non je ne crois pas. En concert, chacun fait un peu ce qu’il veut, chacun est libre. Sur un album ça serait plus compliqué, déjà dès l’écriture. Cette tournée c’était du bonheur absolu. Faire un album des Insus ensemble je n’y crois pas… Bon il y a 10 ans vous m’auriez parlé de la tournée, je n’y aurais pas cru non plus ! [Rires] Mais en tout cas ce n’est pas prévu. On n’a même pas prévu de faire une autre tournée, mais à mon avis si on devait faire quelque chose, ça serait une autre tournée, à la rigueur. Mais c'est pas obligé. On s’est beaucoup éclaté et c’est très bien comme ça. 
  (Yann Orhan)

Un album hommage

"Jeune à jamais (Forever Young)" : un titre qui résume bien Louis Bertignac. En éternel adolescent dans sa chambre décorée de posters de ses idoles (une pochette qui rappelle d'ailleurs celle de "Still Got the blues" de Gary Moore), le guitariste et chanteur revisite ses classiques en y apportant sa touche frenchy. L'exercice d'adaptation en français de textes anglo-saxons est toujours un peu difficile. On se souvient notamment d'exemples dans les années 60, pas toujours très heureux. Ici on est surpris d'entendre que les paroles collent bien aux musiques. L'esprit des versions originales est respecté : parfois un peu décalé ("J'aime tout de toi" tiré de "Precious angel"), ou au contraire quasiment traduit ("Won't get fooled again" devenu "Ma gueule"), mais à chaque fois avec sincèrité, et la conviction d'un profond respect pour l'artiste à l'origine du morceau.

On connaît les goûts et les influences de Louis Bertignac. C'est donc tout naturellement qu'on entend les musiques des Beatles, Rolling Stones, Who, Bob Dylan, George Harrison, JJ Cale, Eric Clapton, Blind Faith, Yardbirds... Mais aussi les moins attendus Otis Redding, Police, Cat Stevens, Little Feat, et Rod Stewart qui a donc déclenché le processus.

La pochette de l'album
 (Yann Orhan)
Les arrangements peuvent être très fidèles comme "Coquine" qui ressemble énormément au "Cocaine" de JJ Cale (histoire de revenir encore plus à l'original que la version de Clapton ?) ou remis au gôut du jour ("J'aime tout de toi" : "une chanson de Dylan jouée par les Stones"). La production sonne comme un disque vintage, bien qu'enregistré entièrement dans son studio, et avec les outils actuels ("la wah-wah de fin sur 'Coquine', je l'ai fait à la souris, après avoir joué le solo").

Les guitares sont variées : la célèbre SG de 61 ne tient pas forcément la vedette même si elle assure les "grosses rythmiques" (par exemple "Mais qui c'est" ou "Coquine"), et les solos sont le plus souvent sur Les Paul ou sur Strat. Pour "Descends-moi (Dead flowers)", c'est la Les Paul GoldTop de 52 (jouée en slide sur "Tu vas me manquer") qui officie, au four et au moulin. Et c'est une Stratocaster de 56 ("Je l'adore, elle sonne merveilleusement bien en position grave") qui pleure doucement sur "Et ma guitare....". Un bel hommage à toutes ces chansons, qui donne envie de les redécouvrir, et qui sait, permettra aux jeunes générations d'ouvrir les portes des grands classiques de l'histoire du rock.

LES TITRES DE L'ALBUM ET LES VERSIONS ORIGINALES

J'aime tout de toi  Precious angel (Bob Dylan, Slow train coming, 1979)
C'est fini  It's over (Rod Stewart, Time, 2013)
Jeune à jamais  Forever young (Bob Dylan, Planet waves, 1974)
Et ma guitare...  While my guitar gently weeps (The Beatles, Album blanc, 1968)
Chaque mot  Every breath you take (The Police, Synchronicity, 1983)
Drôle d'hiver  Morning has broken (Cat Stevens, Teaser and Firecat, 1971)
Long distance love  Long distance love (Little Feat, The last record album, 1975)
Au monde  Can't find my Way Home (Blind Faith, Blind Faith, 1969)
Coquine  Cocaine (JJ Cale, Troubadour, 1976 / Eric Clapton, Slowhand, 1977)
Tu sais sans toi  If not for you (G.Harrison / B.Dylan, All things must pass, 1970)
Descends-moi  Dead flowers (The Rolling Stones, Sticky fingers, 1971)
Pour que tu saches  That's how strong my love is (Otis Redding, Soul Ballads, 1965)
Mais qui c'est  A certain girl (The Yardbirds, For your love, 1965)
Ma gueule  Won't get fooled again (The Who, Who's next, 1971)

Pour l'instant pas encore de tournée annoncée hormis 2 ou 3 dates (en janvier à Lille et en mars au Grand Bornand pour une oeuvre caritative), mais on ne désespère pas d'entendre Louis Bertignac sur scène venir nous enchanter, avec cette fois-ci en plus de sa guitare, ses textes au service de morceaux phares et intemporels. Pour rester informés, suivez sa page Facebook ou son Site web.

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