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Interview Feu! Chatterton : "Sur l'album L'Oiseleur, la règle c'était qu'il n'y en ait aucune"

Dans leur second album, "L'Oiseleur", les quatre musiciens et le chanteur de Feu! Chatterton ont tenté de capturer les souvenirs, même douloureux, et d'en dire la beauté. Fervents et réfléchis, Arthur, Clément, Sébastien, Raphaël et Antoine nous parlent de ce disque profond, tout en grâce et volupté. Plus complices que jamais, ils répondent Lego quand on leur parle d'ego. Poésie de l'instant.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le groupe Feu! Chatterton en mars 2018 : au premier plan Sebastien, Arthur, Antoine; au second plan Raphaël et Clément.
 (Arnaud Journois / Photo PQR Le Parisien / MaxPPP)
Que s’est-il passé entre la fin de la tournée, en novembre 2016 et le début de l’album ?
Sébastien : Nous avons terminé les concerts en novembre et dès le mois de décembre nous avons commencé à écrire de nouveaux morceaux. Ensuite, en décembre-janvier on a loué un petit appartement dans le 11ème. On se retrouvait entre 16h et 5h du matin dans des conditions proches de ce qu’on faisait au tout début, en improvisant tous ensemble devant un ordinateur.

Quel était l'état d’esprit ?
Sébastien : C’était un plaisir parce qu'on n'avait pas arrêté de tourner pendant un an et demi, et là on se retrouvait à faire ce qu'on voulait. La créativité, c'est ça : se laisser guider par des moments de plaisir. Il y a deux moments hyper beaux dans la musique : d'abord celui où tu écris un morceau, où tu tiens quelque chose et que tu essayes de tirer le fil. Le second c’est celui où tu le joues sur scène, ou tu sens que le public et les copains partagent les mêmes émotions. Entre les deux on est constamment en train d’essayer de retrouver ces deux moments de grâce.
Arthur : Le plus beau c'est lorsqu’on est mutuellement excités par un bout de chanson, c’est un truc d’enfant. C’est pour ça qu’on a voulu retrouver les conditions dans lesquelles on était au début, quand on allait le soir bidouiller chez les uns ou chez les autres silencieusement parce qu'il y avait la famille, les voisins. D'ailleurs cette fois on a aussi eu des problèmes de voisins dans notre location. (Sourires)

Quelle direction vouliez-vous donner à cet album ? Qu'aviez-vous en tête ?
Arthur : Le seul principe c'est de ne jamais refaire ce qu'on a déjà fait.
Clément : La règle c'était qu'il n'y en ait aucune et le mot d'ordre c'était d'explorer le plus possible pour faire à la fois des choses très rock et très expérimentales.
Raphaël : De base, nous sommes cinq, avec des univers musicaux différents, des goûts différents, et pour qu'une chanson soit validée elle doit tous nous toucher et être le point de jonction des cinq. C'est déjà une contrainte énorme qui élimine pas mal de possibilités.
Clément : C'est intéressant de se dire qu'on a réussi à se convaincre les uns les autres que sur le même disque on allait mettre "L'ivresse", "Sari d'Orcino" et "Les Yeux Verts" qui sont sur des univers complètement différents.
Arthur : On ne voulait pas que ce soit trop carré, on a essayé un entre deux à la fois synthétique et organique sur quelques titres, ce qui n'est pas l'enjeu habituel du pur rock. Sur des morceaux comme "Ginger", "Sari d'Orcino" ou "Souvenir", c'est notre énergie commune qui compte. Pour d'autres titres, comme "L'ivresse", il fallait une précision électronique, une froideur, plus inspirée du hip-hop actuel et de la trap music.

Toujours pas de problème d'ego entre vous ?
En chœur
: Non, non ! De Lego tu veux dire ?
Arthur : Ce n'est pas évident d'être cinq. C'est beaucoup de discussions, de négociations, de débats, de luttes. Mais il y a un truc qui nous rassemble et continuera de nous rassembler, c'est que dès lors qu'on est touchés par un morceau, on essaye de le servir au mieux. L'ego n'a pas sa place dans cette logique-là. On a une grande confiance en nous cinq et elle grandit de jour en jour.
Sébastien : Au final on est assez d'accord sur ce qui est beau et ce qui est moche. Du coup, même s'il y a de l'ego à un moment – parce qu'il nous arrive tous de protéger une de nos idées – on le met de côté assez facilement,  on ne s'y accroche pas désespérément.

L'Oiseau comme symbole de souvenirs à attraper au vol

Arthur, tu es ensuite parti en voyage en Andalousie et à Naples.
Arthur : Ça infuse tout le disque. Après la tournée, on a tous ressenti ce besoin de calme, de sérénité, de recul, parce qu’on a vécu des choses très intenses pendant deux ans à la fois sur la route et dans nos vies intimes. Je suis parti et eux sont restés à Paris. Ils travaillaient sur la musique mais comme un écho ils ressentaient la même chose. Ce moment-là pour moi a été comme une représentation physique de ce que l'on vivait mentalement. L'éloignement, la prise de distance, essayer de retrouver la joie des choses simples dans la nature charnelle, donc une île, la mer, le volcan, l’arbre, l’oiseau, des fruits. Et c’est vrai que le bassin méditerranéen représente un fantasme, un âge d’or, un beau passé perdu. Les jardins que j’ai visités, l’Alcazar et l’Alhambra, ont cette force d'être à la fois très vivants, puisque les choses ne cessent jamais de pousser, tout en étant des représentations d'un passé vieux de quatre siècles. (Le reste du groupe rit sous cape devant ses paroles exaltées, Arthur sourit) A chaque fois que je dis un truc un peu poétique ils se marrent…

Amour et nostalgie sont au coeur du disque. On se dit que des histoires d'amour ont dû mal se terminer...
(Ils sourient tous avec pudeur en baissant les yeux)
Arthur : Je suis revenu de Naples et d’Andalousie avec ces textes-là et il se trouve qu’ils résonnaient en nous tous. Ça nous a bien facilité la tâche parce qu’on vivait le même genre de choses au même moment.
Clément : En osmose dans la souffrance... (Sourire)
Arthur : Non, il ne faut pas le voir comme ça. Ce qu'on essaye de dire dans cet album c'est plutôt l'acceptation du fait que les choses finissent. Quand une histoire se termine ce qu’il y a de plus douloureux souvent c’est le souvenir d’un parfum, d’un geste. Quand elles reviennent en pensées ces choses sont terribles parce qu’elles nous submergent et là on a essayé de les capturer pour en dire la beauté. Je me souviens de ce parfum mais je peux vivre avec, je peux vivre avec le souvenir de cet endroit, de cette adresse. "Souvenir" est  l'histoire d'une perte intime, d'une disparition. Mais c'est une chanson de deuil lumineuse. Je ne l'ai jamais dit mais j'aimerais que ce soit une chanson qu'on puisse passer à un enterrement pour que le soleil revienne.

Quelle est l'idée derrière le titre de l'album, L'Oiseleur ?
Arthur : On ne s'en est rendu compte qu'à postériori. C'est drôle comme les chansons nous devancent, c’est une sorte d’art divinatoire, on dit des choses qu’on n’a même pas conscience de penser. Eh bien sur cet album il y a plusieurs chansons traversées par des oiseaux - "Souvenir", "L’Oiseau", "Erussel Baled (Les ruines)". Ils sont apparus comme ça dans l’histoire et sont devenus les symboles des souvenirs que les choses ou les gens nous laissent. Ils sont l’image de la fugacité, comme des signes du passé qu’on essaye de capturer.

Objectif : tendre vers l'âpreté séduisante d'un Bashung

"L'Oiseleur" est un album riche et complexe. Avez-vous conscience qu'il est un peu difficile d'accès par rapport à ce qui se fait actuellement ?
Clément : On en a conscience mais ce n'était pas notre volonté. Et il se trouve que les albums qu'on aime sont aussi comme ça, complexes.
Arthur : On apprécie l’immédiateté des musiques d’aujourd’hui mais ce n’est pas celle qu’on aime faire. Là, nous sommes allés au bout d’une idée qu’on avait depuis longtemps. Quand tu écoutes Gainsbourg ou Bashung, au départ il y a une âpreté, une dissonance, quelque chose d’étrange mais de suffisamment séduisant pour avoir envie d’y revenir. C’est dur d’accès mais quand tu rentres dedans, un monde s’ouvre. Je ne sais pas si on y arrive mais c’est vrai que c’est notre ambition. On trouve que l’époque va vite, trop vite. Nous, on prend le risque de dire aux auditeurs: "Halte. Prenez le temps". En acceptant de prendre le temps tu te rends compte que tout ce qui avait l’air complexe et fatigant devient un endroit pour se recueillir.
 
Des œuvres, livres, films ou albums ont-ils infusé cet album ?
Arthur : Quand on est dans la création, on n’écoute pas de musique. Mais là, deux-trois trucs m’ont personnellement accompagné : j’ai beaucoup écouté Barbara pendant cette période. Ainsi que les Beatles.
Antoine : Oui, on a beaucoup écouté les Beatles, "Rubber Soul", "Revolver" et le "White Album". On s’est aussi passé le bouquin de l’ingénieur du son des Beatles aux studios d’Abbey Road, "En studio avec les Beatles" de Geoff  Emerick. On l'a tous lu et on s’est ensuite amusés à enregistrer sur bandes et à les ralentir parce que ça avait l'air incroyable. On l'entend sur "Erussel Baled (Les ruines)". Du coup ça donne un son de guitare opaque, brumeux, pas naturel.

Etes-vous pressés d'aller présenter l'album sur scène ?
Clément : Oui, grave ! On est vraiment, vraiment pressés. Je crois qu'on a aussi hâte de voir comment les nouvelles chansons vont se mélanger aux anciennes.
Arthur : Pour la première tournée on n’avait pas un gros répertoire, le choix était limité pour la setlist. Là on va pouvoir combiner les morceaux qu’on aime du premier disque avec les nouveaux et créer de vraies phases.

Avez-vous hâte aussi de retrouver l'intimité du tour bus ?
Arthur : Oui mais pas 24 heures sur 24 ! (Eclat de rire général). Les gens s'imaginent que la tournée c'est cool mais c'est intense, physiquement et mentalement. Il y a le trac et l'envie de se surpasser, de donner le meilleur de soi-même tous les soirs. En même temps, la tournée c'est une école incroyable de tolérance et d'ouverture. C'est pour ça qu'on s'impose tout ça.

"L'Oiseleur" de Feu! Chatterton (Barclay) est sorti vendredi 9 mars 2018 (chronique ici)
Feu! Chatterton est en tournée dans toute la France à partir du 16 mars à Nancy, avec une double halte au Bataclan les 9 et 10 avril (voir les dates de la tournée)

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