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Nouvelle scène française : 10 jeunes talents à suivre assurément

La chanson française n'en finit pas de se renouveler. L'héritage est imposant, mais la nouvelle génération fait preuve d'inventivité, tout en s'inscrivant dans une tradition de textes poétiques, réalistes, humoristiques ou désenchantés. Tour d'horizon de disques déjà sortis ou à paraître en début d'année prochaine.
Article rédigé par Jean-François Convert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
De gauche à droite : Leïla HUISSOUD © David Farge - Antoine SAHLER © Aglaé Bory - Karin CLERCQ © François Mercier - Julien BENSE © Caroline Arné - Evelyne GALLET © Nicolas Michel - PANDORE © Hector Abela - Maud LUBECK © Marie Magnin - Anne DARBAN © Severin Photography - Emma BEATSON © Ira Rokka - Guillaume PONCELET © Pierre-Yves Calvat
1/ Leïla Huissoud - "Auguste"

Passée par la saison 3 de The Voice (2014), Leïla Huissoud a, depuis, parcouru un sacré chemin et a beaucoup de succès sur YouTube, où ses chansons font des millions de vues. Totalement affranchie de l’étiquette “variété télé crochet”, elle chante avec gouaille et intensité une chanson française authentique, héritée des plus grands. C’est d’ailleurs en réponse caustique à Brassens qu’elle nous conte “Le vendeur de paratonnerres”, contrechamp de “L’orage”, du grand Georges. Tout comme Maxime Leforestier avait répondu à “Supplique pour être enterré à la plage de Sète”, avec “La visite” en 1988, Leïla Huissoud prend ici le contrepied de "L’orage” (où Brassens cocufiait un vendeur de paratonnerres) en nous donnant le point du vue du mari trompé. C’est drôle, impertinent, enlevé, et jubilatoire. Qui oserait aujourd’hui parler de “ce con de Georges Brassens” ?

Le reste de l’album est à l’image de cette chanson : le plaisir des mots se dispute à l’entrain de la musique, tout à tour valse, ballade ou jazz manouche. Côté intonations vocales, on pense à Édith Piaf, Barbara, Anne Sylvestre... et Mathias Malzieu de Dionysos vient renvoyer la balle sur “Un enfant communiste”. Des textes poétiques qui mêlent le drôle au tragique, l’émouvant et le sarcastique. Une plume de “chianteuse” qui sait conter et sur qui il va falloir assurément compter.
Leïla Huissoud sera à Paris le 7 février au Hasard ludique (Paris 18e arrondissement) pour le lancement de l’album et en tournée dans toute la France.
Son album "Auguste" (MAD) est sorti le 9 novembre.
2/ Antoine Sahler

Antoine Sahler ne débute pas dans le métier. Il a sorti deux albums en 2002 et 2005, et il a écrit et composé pour, entre autres, Maurane, Juliette Gréco, Sophie Forte, Lucrèce Sassella, Juliette. Mais c'est sa collaboration avec François Morel qui est la plus prolifique : des albums et des spectacles de chansons mais aussi des spectacles de théâtre où la musique est très présente : un duo sur "Caen" dans le projet "Devos en musique(s)" l'année denière, et en ce moment, "J'ai des doutes", spectacle en hommage à Raymond Devos, créé en 2018.

Jamais rassasié de projets, il sort un nouvel album album solo en février, avec un premier single "Merci merci", fustigeant la surconsommation.

Le ton est donné : un humour tendre et désenchanté. Une dépression agréable. L'album parcourt des questions existentialistes, mais sur un ton pince sans-rire, détaché. Et ce besoin de consolation qui affleure à chaque refrain. Des textes empreints d'une grande sensibilité et en même temps d'une autodérision assumée. En témoignent ces courts intermèdes qui font rimer absurde avec pop. Car musicalement, c'est bien la couleur pop qui domine. Des arrangements fins et sucrés, mais jamais guimauves. On pense à Souchon, De La Simone, Katerine... On espère que l'interprète va s'émanciper de l'auteur-compositeur aiguisé, et ainsi accéder à une notoriété amplement méritée.
L'album d'Antoine Sahler (Le Furieux / Differ-Ant) sortira le 1er février.
3/ Karin Clercq - “La boîte de Pandore”

Plus électro-pop, voire parfois plus rock, Karin Clercq chante avec force la liberté de la femme et le désir féminin depuis le début des années 2000. Neuf ans après son précédent “La vie buissonnière”, elle revient avec son quatrième album, “La boite de Pandore”, dont le morceau-titre est en ligne depuis la rentrée.

L’univers de la chanteuse belge est multiple : on y croise Alfred de Musset dans “On ne badine pas avec l’amour”, une figure tragique avec “Antigone”, mais aussi une jeune fille de la fin du 19e siècle qui se livre dans son journal intime à travers “Presque une femme”, ou encore une adolescente “Partie”, et même Alain Bashung dont le “Madame rêve” est complètement réarrangé.

La conception de l’album s’est étalée sur une longue période : en 2015 les "Secrètes sessions" (une vingtaine de musiciens, compositeurs, auteurs, chanteurs, ont deux heures pour faire naître une chanson, et la jouer dans la foulée) la poussent à reprendre les chemins des studios, et c’est la naissance du premier titre, “J’avance”, qui depuis, a évolué pour devenir un texte sur les migrants. Plus intimiste, "Je garde" est l'occasion d'inviter Sacha Toorop pour un beau duo.
Un album éclectique, fort, déterminé, que Karin Clercq joue actuellement en tournée.
"La boite de Pandore" (Gabal Productions) est sorti le 16 novembre.
4/ Julien Bensé - "L'odyssée"

Un tout autre univers est celui de Julien Bensé, qui propose avec "L'Odyssée" un voyage sensuel et spirituel. Cet album boucle en majesté la trilogie amorcée avec le disque "Album" en 2008, et poursuivie six années plus tard avec "Le printemps". Des textes empreints de références littéraires telles Epicure, Lucrèce, Pascal, Camus, Montaigne, Spinoza ou encore Nietzsche.

Pour acompagner ces textes parfois austères à dimension métaphysique, la musique se fait planante, aérienne, folk, avec quelques touches d'electro. Julien Bensé a lui-même assuré l'ensemble des orchestrations avec guitare, basse, claviers et boîte à rythme vintage. Des arrangements dépouillés qui appellent à l'introspection, mais aussi à la "réconciliation avec l'espèce humaine par l'entremise de la poésie".
"L'odyssée" (Dyordie playing / Autre Distribution) est sorti le 7 décembre
5/ Evelyne Gallet - "La fille de l'air"

La chanson française sait aussi être plus rock. C'est le cas avec Evelyne Gallet. Cette artiste lyonnaise avec 5 albums et plus de 600 concerts à son actif, a déjà partagé la scène avec Juliette, Arthur H, Sanseverino, Elmer Food Beat... et décroché plusieurs prix dans des festivals. Dès le premier morceau on est bousculé par cette fille qui n'a pas sa langue dans sa poche et est bien décidée à ne pas se laisser marcher sur les pieds.

Enregistré dans un ancien atelier canut des pentes de la Croix Rousse, le quartier historique de la soie à Lyon, cette collection de chansons explore des couleurs musicales inédites : des riffs de guitare saturée mélangés à du toy piano, de l'hélicon ou de la scie musicale. Une démarche qui témoigne d'une réelle liberté et indépendance, qui transparaît dans les paroles de chaque chanson.
"La fille de l'air" (Z production) est sorti le 23 novembre. Plusieurs dates sont prévues au printemps.
6/ Pandore - "Enfant du vide"

L’artiste lyonnais Pandore propose une poésie impulsive et percutante avec son mini-album de 7 titres “Enfant du vide” sorti en octobre. Ses textes témoignent d’une sensibilité à fleur de peau, tel un écorché qui ferait se rencontrer Noir Désir et Beaudelaire. Le single “A chaque mot de leurs apôtres” est empreint de cette révolte intérieure, et cette aspiration à la liberté.

Des chansons aux paroles intenses et sans concessions, qui parlent de sa ville chargée d’histoire (“Lyon”), qui évoquent Léo Ferré (“Road Trip”) ou Nietzche (“Enfant du vide”), et qui nous rappellent l’urgence de la situation climatique planétaire (“Y’a pas d’étoile”). Après avoir fait les premières parties d’Alexis HK et de Julien Doré, Pandore se produit actuellement sur scène, accompagné d’un violoncelle.
Son album "Enfant du vide" (Inouïe Distribution) est sorti le 19 octobre
7/ Maud Lübeck - "Divine"

Après des débuts en 2012, Maud Lübeck est immédiatement reperée par Dominique A. En octobre 2016, elle sort son deuxième album "Toi non plus". Elle y racontait la douleur primitive de la rupture. Avec "Divine (chroniques d'une rencontre)", elle donne une suite, offrant ainsi un deuxième volet à ce dyptique de l'intime.

Ce disque raconte la chronique de l'amour renouvelé qui s'ouvre sur une rencontre ("Divine") et s'achève sur la très "souchonnienne" chanson "Coeur". Traversées par une constante mélancolie, les mélodies et les intonations vocales rappellent Françoise Hardy. Une influence qui privilégie avant tout les émotions.
"Divine" (Remark / Finalistes) sortira le 18 janvier 2019.
8/ Anne Darban - "Plutôt me rendre"

Autre artiste féminine, Anne Darban raconte elle aussi des amours contrariées. Les blessures du coeur, le sentiment d'abandon, et le besoin de se ressourcer sont les thèmes dépeints au fil des 6 chansons de l'EP "Plutôt me rendre", dont le morceau-titre bénéficie d'un clip mis en ligne début novembre.

Des ballades à écouter les jours de pluie, des tonalités plutôt hivernales, un brin de nostalgie, mais contrebalancées par des arangements rythmés et vitalisants notamment sur le premier titre "Loin" et le dernier "Les couleurs".
L'EP "Plutôt me rendre" (Anne Darban) est sorti le 9 novembre.
9/ Emma Beatson - “Sel”

Emma Beatson nous avait déjà habitué à sa voix éthérée, des mélodies aériennes, une ambiance envoûtante. En témoigne sa prestation live de la chanson “Gris”, à la Royal Academy of Music, au mois de mai, avec un quatuor à cordes.

Après son premier album “OBK Sessions”, sorti en 2015, elle revient avec nouveau single “Sel”, publié mi-octobre.

J’ai eu envie d’espace, de mouvement, de dire les mots, de laisser faire. De ma grotte, j’ai composé des beats hip hop, des mélodies acrobatiques, des refrains pop, des synthés aquatiques. J’ai raconté l’histoire d’une sirène qui se découvre, plonge et s’enivre...

Emma Beatson

De très belles harmonies vocales qui invitent à lâcher prise, et à se laisser bercer en plein rêve. Un véritable voyage onirique et sensuel.

10/ Guillaume Poncelet - "88"

Et pour terminer, un album sorti il y a déjà quelques temps, mais un vrai coup de cœur, qui mérite vraiment d’être découvert : Guillaume Poncelet, musicien inclassable et touche-à-tout, passe du jazz au hip-hop, de la musique de film au slam avec une facilité déconcertante. Sa dernière collaboration est la bande originale du film “Razzia”, de Nabil Ayouch. Son magnifique album “88”, sorti en début d’année (mais joué en avant-première à la fin de l’année dernière), regorge de mélodies entêtantes, quelque part entre Satie et Tiersen, Chopin et Morricone. Le morceau "L'ennui" nous a en effet fait penser aux musiques de “Il était une fois en Amérique”, "Cinema Paradiso” ou “Le grand silence”.

Des thèmes qui tournent en boucle sans jamais lasser, des ambiances feutrées mais gorgées d’émotions. Une musique qui se situe au niveau de la sensation : des états émotionnels parfois difficilement descriptibles avec des mots. Et quand les mots s’invitent, c’est par la voix de Thomas Azier pour un superbe “Last Breath” aux envolées quasi-lyriques, ou celle de Gaël Faye pour un slam ancré dans l’histoire urbaine d’aujourd’hui.
On attend avec impatience le retour de ce jeune prodige sur le devant de la scène musicale, que ce soit jazz, classique ou n’importe quel autre style... Il semble être à l’aise dans tous.

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