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Harlequin fête ses 40 ans : un quiz pour tordre le cou aux clichés, avec son éditrice Karine Lanini

La célèbre série glamour venue d'outre-atlantique fête ses 40 ans cette année. Fer de lance d'un genre méprisé, la romance, la collection Harlequin confirme pourtant un succès sans faille depuis son arrivée en France en 1978. Rencontre avec Karine Lanini, la directrice éditoriale d'Harlequin, qui nous invite à travers un quiz à tordre le cou aux clichés.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 10 min
Karine Lanini, directrice éditoriale Harlequin, France
 (Laurence Houot / Culturebox)

7 milliards de romans vendus dans le monde depuis sa création, 4 millions de livres vendus par an, plus de 2 millions de lecteurs, vendus dans 150 pays… La mythique collection Harlequin fête ses 40 ans en France dans l'allégresse. Et pourtant, ils sont nombreux les clichés et les a priori autour de cette collection dont les romans sont souvent méprisés, considérés comme une sous-littérature, à l'eau de rose, mièvre, avec des livres prétendument écrits à la chaine, sur commande, avec un cahier des charges…

Mention très bien au bac, Normale Sup, agrégation et doctorat en lettre, une thèse sur Pascal à son tableau, Karine Lanini, directrice éditoriale de la filière française du groupe Harlequin n'a pas le profil de la midinette amatrice de romans Harlequin. Et pourtant, elle revendique son goût pour la romance, et défend bec et ongles une littérature qu'elle qualifie de littérature de divertissement, mais qu'elle veut de qualité. "Harlequin, c'est le succès d'un genre, la romance", dit-elle. "Et le succès s'explique par le fait que ceux ou celles qui aiment la romance et qui veulent des romans de qualité viennent lire chez nous", assure-t-elle fièrement. Voyons avec elle ce qui se cache derrière les clichés qui entourent la mythique collection, qui fête cette année ses 40 ans en France.

1
Les romans Harlequin sont des romans à l'eau de rose
FAUX
"Les romans de Barbara Cartland oui, sont des romans à l'eau de rose, mais les romans Harlequin, affirme Karine Lanini, sont tout sauf ça. Ils mettent en scène des personnages forts. Ce n'est pas du tout "plan plan". Il y a de l'action, du rythme, des aventures, avec des personnages qui ne se font pas de cadeaux, et il y a toujours un conflit très fort à résoudre. Il faut que l'histoire soit forte. Pas d'atermoiements, sinon cela ne fonctionne pas", souligne l'éditrice.

"C'est une lecture d'identification. La lectrice ressent avec l'héroïne des sentiments et des émotions très fortes. Elle n'est pas dupe. Elle sait que dans la vraie vie les milliardaires ne vont pas débarquer pour les demander en mariage, mais par contre, l'intensité des émotions, celles que l'on ressent au début d'une relation amoureuse, ça, ça existe et les lectrices les réactivent en lisant", poursuit-elle. "Je comprend que certaines personnes soient totalement réfractaires à ce genre, mais si le lecteur accepte d'y croire, il se laisse embarquer et c'est un plaisir".
Exposition Harlequin, Salon Livre Paris 2018
 (Laurence Houot / Culturebox)
2
Les romans Harlequin, c'est toujours la même histoire
VRAI ET FAUX 
Chez Harlequin, il y en a pour tous les goûts. La maison propose plusieurs collections, chacune avec des caractéristiques bien précises. "La collection Azur propose une histoire intense, dans un décor fantasmatique, avec un canevas de conte de fées, et des scènes de sexe. Cette collection plaît aux lectrices qui aiment s'évader du quotidien. Alors qu'avec la collection Blanche, l'histoire se passe forcément dans le milieu médical, et on est dans un univers plus réaliste, plus familial aussi, avec des enfants, moins de scènes de sexe, et une histoire d'amour plus épurée. Les romans de la collection Blanche vont plaire à un public un peu plus âgé". Harlequin propose aussi  Black Rose, tendance polar. 

La maison lance de nouvelles collections en fonction des tendances et des attentes des lectrices. "Avant le succès de '50 nuances', on avait identifié au début des années 2000, un attrait pour l'érotisme. C'est le moment où le sexe fait son coming-out, sort de l'ombre, n'est plus cantonné à la littérature érotique. Il y a un intérêt pour la romance sexy. On a alors lancé la collection Audace", explique Karine Lanini.

Dans la lignée de "Twilight", Harlequin avait aussi lancé "Nocturne", de la romance paranormale. Mais la mode ayant passé, la collection a été arrêtée il y a quelques mois. "On est très à l’affût des tendances et de ce qui nourrit le champ culturel. On sait aussi que certaines collections qui marchent dans les pays anglo-saxons n'ont aucune chance de marcher ici, comme la collection "Love inspired", qui met en scène des familles chrétiennes. Ici, pour des raisons culturelles évidentes, c'est impubliable", souligne l'éditrice.  
3
Les romans Harlequin finissent toujours bien
VRAI
Si les histoires sont différentes selon les collections, il y a une constante dans les romans Harlequin, constante à laquelle il est formellement interdit de déroger : il faut que ça finisse bien. Toutes les histoires ont une trame commune : une histoire impossible devient possible, après avoir traversé des péripéties, des rebondissements et surmonté des obstacles. Mais il faut que cela finisse bien. "C'est le contrat, la promesse. Si on ne la tient pas, ça ne marche pas", explique l'éditrice. 

4 - Les romans Harlequin véhiculent une image dévalorisée de la femme

FAUX
"Ce n'est pas du tout un genre antiféministe", affirme Karine Lanini, "au contraire, il y a des personnages féminins très forts, qui travaillent ou si elles ne travaillent pas c'est qu'elles l'ont choisi. On est loin des clichés du chirurgien et de l'infirmière. On a autant de personnages féminins infirmières que médecins. Et puis c'est toujours l'héroïne qui gagne à la fin. Au début, on a un homme méfiant vis à vis de l'amour, qui s'intéresse éventuellement au sexe mais ne croit pas à l'amour, et l'héroïne va réussir à le faire adhérer à un autre schéma de vie".

"Et puis chez Harlequin les intrigues, les personnages évoluent avec la société. Et donc, comme dans la vie, la femme s'est émancipée dans les romans Harlequin. Et puis comment imaginer que des livres écrits par des femmes, pour des femmes, véhiculeraient des idées qui la dévalorise ? Ce serait absurde !"
Harlequin fête ses 40 ans au Salon Livre Paris
 (Laurence Houot / Culturebox)

5 - Les lecteurs des romans Harlequin sont des midinettes qui ne lisent que de la romance

FAUX
Le manque d'intérêt des hommes pour la romance reste un mystère pour Karine Lanini, mais c'est un fait, la quasi majorité des lecteurs d'Harlequin (plus de 90%) sont des lectrices. En revanche ces lectrices sont des dévoreuses. Une étude récente montre  qu'elles lisent entre 7 et 10 livres par mois (contre 10 en moyenne par an, pour le reste de la population). "Et elles lisent de tout, des best-sellers, mais aussi de la littérature classique. C'est un public très hétérogène, en fait", souligne l'éditrice.
"Ce sont des livres qui se lisent tout au long de la vie. Souvent les jeunes filles en lisent à l'adolescence, puis il y a souvent une pause quand elles ont trouvé l'amour, qu'elles rentrent dans la vie active, qu'elles construisent une famille, puis elles y reviennent passé 40 ans. Elles les lisent alors un peu comme des madeleines proustiennes". Les chiffres : plus de 50% des lectrices ont moins de 45 ans, et 25% ont entre 15 et 35 ans.

6 - Les romans Harlequin sont écrits sur commande avec un cahier des charges

FAUX
1300 auteurs écrivent pour la collection dans le monde, "et contrairement à ce qui a beaucoup été dit, ils n'écrivent pas sur commande", tient à préciser l'éditrice. "Ce sont de vrais auteurs, qui comme dans les autres genres, envoient leurs manuscrits, qui seront ensuite édités (ou pas) en fonction de la qualité. Il y a pourtant quelques règles à respecter, qui sont clairement indiquées sur le site de l'éditeur. "Ce sont des sortes de 'guide line', qui donnent des indications, mais il n'y a pas de cahier des charges page par page. Ça c'est un mythe", ajoute l'éditrice.

7 - Les romans Harlequin, c'est de la mauvaise littérature

FAUX
"La romance est une littérature de divertissement, mais il faut que cela soit bien fait. Et chez Harlequin, c'est extrèmement bien fait. C'est ma fierté. Ecrire de la romance, ce n'est vraiment pas un exercice facile. C'est un vrai travail, qui demande un vrai talent. Il faut que ce soit court, qu'il y ait du rythme, et que cela se lise d'une traite. Si je referme le livre avant la fin, c'est que ce n'est pas bon. Et je ne publie pas. J'invite ceux qui disent que c'est facile à m'envoyer leurs manuscrits !".

8 - Les romans Harlequin ne racontent jamais d'histoires d'adultère

VRAI
S'il y a une chose qui ne passe pas du tout auprès des lectrices de la collection Harlequin, c'est l'adultère. "Quand je suis arrivée dans la maison, on m'a prévenue : attention, pas d'adultère dans les histoires. Je ne voulais pas le croire. J'en tenté le coup, et ça n'a pas marché. Ça ne se vend pas. Je n'ai pas d'explication scientifique, mais je pense que c'est lié à la promesse de lecture. Les lectrices ont envie de lire quelque chose qui les coupe de leur réalité quotidienne. Et en l'adultère, c'est quelque chose de trop prosaïque, qu'elles vivent dans leur quotidien. Ce n'est donc pas romanesque. En romance, l'adultère est un tue l'amour", s'amuse-t-elle.

9 - Seuls les anglo-saxons savent écrire des romans Harlequin

FAUX
La romance est un genre anglo-saxon, et jusqu'en 2013, Harlequin ne proposait que des traductions du catalogue américain. "A un moment, je me suis dit c'est impossible qu'il n'y ait pas, en France, des auteurs qui sachent écrire de la romance. Alors nous avons lancé un concours d'écriture et nous avons reçu énormément de manuscrits. Cela nous a permis de découvrir de très bons auteurs et de nous lancer dans une nouvelle aventure éditoriale. Désormais la maison publie une collection réservée aux auteures françaises, qui cartonne.

Emily Blaine, la gagnante du concours en 2013, est l'une des auteures phares de cette nouvelle collection. Elle a vendu 400 000 livres depuis qu'elle s'est lancée dans l'aventure de la romance. "L'avantage d'avoir des auteures française, c'est aussi que les lectrices peuvent les rencontrer. C'est un genre très fédérateur, avec des communautés de lectrices", explique l'éditrice.

"La romance est un genre qui véhicule des pratiques rares dans l'édition. Il y a une proximité entre les auteures et les lectrices qui est plus proche de ce que l'on voit avec les chanteurs par exemple". Une proximité que les réseaux sociaux a amplifiée. Des groupes sur Facebook, des comptes instagram dédiés, des sites d'éditeurs, d'auteures, sur lesquels les lectrices échangent entre elles ou directement avec leurs auteures préférées.

10 - On ne peut acheter les romans Harlequin que dans les supermarchés

FAUX
Oui ils sont vendus dans les supermarchés. "C'est un modèle éditorial", souligne Karine Lanini. "C'est ce qui fait la force et le succès de cette collection : proposer aux lectrices des nouveautés tous les mois. Harlequin propose 10 nouveauté par mois, c'est un modèle calqué sur une production de presse", explique l'éditrice. "C'est un genre très addictif, et il faut répondre à la demande des lectrices". C'est aussi la raison pour laquelle le groupe a très tôt développé l'offre numérique.

Dès 2008 la maison a lancé les titres en format numérique, et nous avons même commencé à numériser le fonds. Le numérique représente un quart du chiffre d'affaires, ce qui est énorme par rapport à la littérature classique", ajoute l'éditrice. "Nous avons un lectorat de grandes lectrices, pour qui le livre n'a pas une valeur patrimoniale, et elles veulent beaucoup de livres, et pas trop cher. On coche les trois cases ! C'est un contenu culturel de divertissement qui se prête très bien à la multiplicité des formats", souligne-t-elle.

Conclusion, sans être devin, la collection Harlequin promet d'avoir encore de beaux jours devant elle.  A voir au Salon Livre Paris une exposition qui retrace les 40 ans d'Harlequin en France,  et des dédicaces sur le stand de l'éditeur. 

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