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Les livres pour enfants ont-ils un avenir ? Thierry Magnier, éditeur jeunesse depuis 30 ans, garde la foi

La 34e édition du Salon du livre de Montreuil ouvre ses portes le mercredi 28 novembre. Le secteur a connu pour la première fois de son histoire un léger recul cette année. Faut-il s'inquiéter pour la littérature jeunesse ? Thierry Magnier, président du groupe jeunesse au SNE (Syndicat national de l'édition) et éditeur pour la jeunesse depuis plus de 30 ans, nous dit ce qu'il en pense.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Thierry Magnier, éditeur jeunesse et président du groupe jeunesse du SNE
 (MIGUEL MEDINA / AFP)

Pour la première fois de son histoire, le secteur de la jeunesse a connu une baisse de son activité : 6,58 % selon le rapport 2017 du SNE (Syndicat national de l'édition). Faut-il s'en alarmer ? La jeunesse représente une part importante de la production des livres imprimés en France. Avec près de 17.000 titres publiés dans l'année, le secteur est-il en surproduction ? Faut-il produire autrement ? Moins et mieux ?

Les livres jeunesse français s'exportent bien : un livre sur trois vendu à l'étranger est un livre jeunesse. Les Asiatiques notamment raffolent de nos albums. Thierry Magnier, éditeur militant depuis 30 ans, président du groupe jeunesse du Syndicat National de l'Edition et patron du regroupement des maisons d'édition jeunesse Actes Sud Junior, Thierry Magnier, Rouergue et Hélium, reste optimiste.

On note cette année et pour la première fois un ralentissement dans le secteur de la jeunesse, est-ce que c'est grave ? Quelles en sont les raisons selon vous ?
Oui c'est vrai que l'on a noté sur l'année 2017 un léger fléchissement dans le secteur. C'est une baisse évidente, il faut s'en inquiéter, mais ne surtout pas dramatiser. Ce n'est pas en dramatisant que l'on va avancer. A quoi c'est dû ?

Une grande partie de cette baisse concerne la littérature ado et jeune adulte."

Et c'est sans doute explicable par le temps de lecture de cette tranche d'âge qui est bouffé par les écrans, et notamment le développement de phénomènes comme Netflix. C'est un secteur habituellement à très fort tirage, et le temps de lecture s'est sans doute reporté sur d'autres types de consommations. Après, globalement, il ne faut pas dramatiser, la jeunesse continue à marcher plutôt bien.
 
Qui souffre de ce ralentissement ?
Ce sont les éditeurs de "création" qui souffrent le plus. C'est surtout vrai pour les albums, moins pour les romans. Les albums sont les livres pour la jeunesse les plus chers à fabriquer. On est proche des coûts de fabrication des beaux livres, avec un beau papier, une belle encre, une belle reliure. Ce sont des beaux objets. Les fabriquer a un coût. Ces albums de "création" sont aussi les plus fragiles, parce que ce sont souvent ceux qui bénéficient de moins de publicité, de moins de marketing, et qu'ils sont donc moins puissants sur le marché. En plus, ce sont surtout les librairies indépendantes qui vendent ces livres, et elles aussi sont souvent dans une situation précaire, cela n'arrange pas les choses. Quand vous avez 60 m2, il faut faire des choix. Il y a 5 ans, là où les libraires mettaient en place 4 ou 5 titres, ils n'en prennent plus qu'un, voire pas du tout, en se disant on verra plus tard.

Qui dit moins de mises en place, dit moins de tirages, avec pour conséquence un prix du livre plus élevé."

Depuis 10 ans, le nombre de publications a augmenté, mais le tirage moyen par ouvrage a beaucoup diminué. Chez nous, les albums étaient tirés en moyenne à 5000-6000 exemplaires il y a 10 ans, aujourd'hui, en moyenne, c'est plutôt 3000-4000, et cela s'est accentué ces dernières années. Pour moi, le véritable danger, il est plus là, du côté de la création. La littérature jeunesse est un secteur très créatif. Où on prend des risques. On doit être un peu joueur, je pense. Mais c'est aussi ce qui fait le piment de ce métier.

L'autre phénomène, c'est la diminution du "fonds"

Et ça c'est vraiment dommage parce que contrairement à la littérature adulte, où les livres vont avoir une durée de vie en librairie de trois mois, parfois même 15 jours,  les livres pour les enfants vivent des années. Il y a des "classiques de la littérature jeunesse, qu'il faut continuer à faire vivre. Malheureusement les libraires achètent de moins en moins de fonds pour des raisons de place, mais aussi de trésorerie, ils se concentrent sur les nouveautés. Pour les éditeurs aussi, entretenir le fonds, réimprimer les albums, c'est de l'argent immobilisé.  
Près de 18.000 titres jeunesse publiés en 2017
 (SERGE ATTAL / ONLY FRANCE)
Le secteur souffre-t-il de surproduction ?
On parle beaucoup de surproduction, mais il faut faire le tri. Il y a la littérature anglo-saxonne, et là en effet c'est la grosse cavalerie. Du côté de la création, par contre, je ne parlerais pas de surproduction. Pour moi il n'y a jamais assez de bons livres.

Dans les maisons que je gère, on essaie depuis deux ans de réduire un peu la production."

On a réduit, et pourtant le chiffre d'affaires se maintient. Donc je ne voudrais pas donner des leçons, mais pour nous ça a marché, donc c'est peut-être ça la solution. Il faudrait que tout le monde s'y mette un peu. Cela donnerait plus de chances aux représentants et aux libraires de montrer les livres, de les rendre visibles, de les faire briller. Mais il faut reconnaître que c'est un risque de baisser la production. Je crois qu'il faut se poser la question du livre de plus, du livre de trop. Mais parfois on est faible, et on voit passer beaucoup de très beaux projets. On a des auteurs et des illustrateurs très talentueux.

En quoi les livres pour les enfants ont-ils changé depuis 30 ans ?
On est entrés dans une époque plus puritaine, c'est certain. Dans les années 70, c'était le début de la reconnaissance de l'enfant comme une personne, une personne à considérer, à qui on pouvait s'adresser. C'est l'époque de l'embellie dans le domaine de la littérature jeunesse. Une époque où l'on pouvait aborder tous les sujets. Aujourd'hui on est revenu là-dessus avec cette idée que le monde est déjà suffisamment affreux, et qu'il faut protéger les enfants, les préserver. Mais ce n'est pas en les mettant dans du coton, avec des histoires de "bisounours" qu'on les protège, au contraire ! Ça ne sert à rien de cacher des choses aux enfants. Il n'y a rien de pire. Il ne s'agit pas de provoquer, ni de choquer, mais il faut tenir sa ligne, et continuer à partager des choses, aborder des sujets délicats, qui vont aider les enfants à comprendre le monde qui les entoure.

Il faut continuer à faire des livres qui vont l'aider à grandir, l'aider à se construire."

Mais je crois que ceux qui s'insurgent sont une frange minoritaire et extrémiste. Ils ne sont pas plus nombreux qu'avant. Simplement ils s'expriment sans complexes, et ils ont tribune ouverte avec les réseaux sociaux. C'est d'ailleurs dramatique. On peut tuer un livre et un auteur en quelques heures sur les réseaux.
"La lecture avec les enfants est un moment privilégié irremplaçable, qui ne peut avoir lieu qu'autour de l'objet livre", Thierry Magnier
 (FatCamera / Getty Images)
Le livre jeunesse est-il condamné à disparaître ? Quel est son avenir ?
Quand on lit, on est actif : il faut ouvrir le livre, regarder les images, lire les textes, tourner les pages. C'est vrai que si on prend l'habitude de se contenter des écrans, on peut trouver cela fatigant de lire. Il y a "ce temps de lecture", incompressible, qui peut paraître long aujourd'hui. Moi-même, je suis sollicité par les auteurs, qui me disent est-ce que tu peux lire ce texte. C'est court. Mais si c'est 12 auteurs dans la journée, c'est 12 fois quelque chose de court. Et ça devient long. On ne peut pas lire n'importe comment un livre. Mais c'est pour ça que je crois au livre. On ne peut pas se contenter de rester planté devant un écran froid, mort. Et la lecture avec les enfants est un moment privilégié irremplaçable, qui ne peut avoir lieu qu'autour de l'objet livre.

Un moment de symbiose, l'enfant et l'adulte recroquevillés autour du livre, le parfum de caramel des cheveux de l'enfant sous le nez, un moment d'échange, de complicité hyper important.

Le livre est un objet sensuel, toucher le livre, tourner les pages, tout ça c'est très important pour le développement de l'enfant. C'est pour ça que le livre doit être beau, bien fait, qu'il doit sentir bon ! 

Il faut résister, continuer à fabriquer des livres."

Le livre n'est pas mort et il ne mourra pas. Je suis certain qu'il reste encore plein de choses à faire avec des auteurs et des illustrateurs de grand talent ! C'est pour ça qu'on a lancé le Prix Vendredi en 2017, pour montrer la richesse et la qualité de la littérature jeunesse, et c'est aussi pour ça aussi qu'on a lancé avec le SNE les "Assises de la littérature jeunesse" à la BnF et qu'on en organisera d'autres l'année prochaine en octobre 2019. Pareil pour les Pépites du salon de Montreuil. Je reste très optimiste. Je suis certain que le livre va continuer à vivre. Et des événements comme le Salon de Montreuil le prouvent.

Un conseil de lecture ?
C'est difficile … Je dirais : allez à Montreuil et choisissez-vous-même ! Sinon je serais tenté de dire, choisissez-en un chez moi. Et comme mon préféré est toujours le dernier publié, je vous recommanderais "A travers", de Tom Haugomat, sélectionné dans les Pépites, et pour les Fauves d'Angoulême.

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