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De quoi vivent les auteurs Jeunesse ? Témoignage d'Erik L’Homme, auteur et de Marie Spénale, illustratrice

Les auteurs ont déjà manifesté mercredi lors de l’inauguration du Salon du Livre et de la Presse Jeunesse de Montreuil. Ils recommencent ce samedi pour sensibiliser le public à leurs conditions de travail de plus en plus précaires. De quoi vivent les auteurs ? Comment s’en sortent-ils au quotidien. Erik L’Homme, auteur et Marie Spénale, illustratrice, nous expliquent.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
Marie Spénale et Erik L'homme

Erik L’homme est auteur depuis plus de 15 ans et a écrit des best-sellers pour la jeunesse. Marie Spénale a démarré son activité d’illustratrice depuis trois ans. Elle collabore avec plusieurs maison d'édition pour illustrer des albums pour la jeunesse et travaille aussi pour la presse jeunesse. Ils font tous les deux le même constat : la vie d’auteur n’est pas simple, et les conditions de travail sont de plus en plus difficiles. Ils nous expliquent pourquoi.

Erik L’Homme écrit des romans pour la jeunesse depuis 2001. Il s'est fait connaître avec 'La trilogie des étoiles" (Gallimard Jeunesse) un carton en librairie. "J’ai eu la chance de connaître un gros succès au départ, ce qui m’a permis d’en faire mon métier tout de suite", confie Erik L'Homme. "J'ai un peu l'impression d'avoir connu l'âge d'or", ajoute cet écrivain qui a vendu 1,5 millions d'exemplaires de ses romans depuis 15 ans.

La fin de l'âge d'or

"C'était l'époque de Harry Potter, de Philip Pullman ("A la croisée des mondes", 20 millions d'exemplaires vendus dans le monde). Il y avait cet engouement pour la littérature fantasy qui a créé une véritable dynamique dont j'ai bénéficié. C'était génial", se souvient Erik L'Homme. "Ce qui fait que même si le pourcentage des droits étaient  faible, avec les volumes de ventes j'y trouvais mon compte. Et puis petit à petit, j'ai vu se détériorer ma condition".
 
De son côté, Marie Spénale a commencé à travailler depuis trois ans. Elle est illustratrice et répond surtout à des commandes. "J'ai e la chance parce que j'ai régulièrement des commandes qui me permettent de vivre de mon métier", confie cette jeune illustratrice. "Mais malgré tout, depuis que je travaille, je n'ai jamais touché de droits au-delà des à-valoir" (avances que touchent les auteurs sur les droits. Ils ne sont ensuite rémunérés qu'à parti du moment où leur à-valoir a été amorti).

"Il faut vraiment faire de grosses ventes pour commencer à toucher des droits. Et comme je suis jeune, on me confie pas les livres des figures de proue e la maison donc les ventes ne sont jamais énormes", souligne Marie Spénale.
Erik L'homme
 (Catherine Hélié, Gallimard)
"Je ne suis pas très difficile, je suis très heureux de faire ce métier", confie Erik L'Homme, "c'est une passion. Je suis heureux de ma liberté, mais quand même, cela devient difficile". Il explique cette baisse de régime par la multiplication exponentielle de la production dans le secteur jeunesse (plus de 16 000 titres publiés en 2016). Cette augmentation est particulièrement notable dans le domaine de la Fantasy, qui plaît beaucoup aux ados. "La conséquence, c'est que la part pour chaque auteur diminue", explique l'écrivain.

"Les pourcentages sur les droits étant faibles, quand le volume des ventes diminue, cela fait baisser les revenus. A cela il faut ajouter les réformes récentes, comme la réforme du système des retraites, qui oblige les auteurs à cotiser plus lourdement pour une retraite complémentaire. Nous comprenons que c'est pour le bien des auteurs. N'empêche que cela contribue à accentuer la paupérisation des auteurs". L'écrivain gagnait environ 3000 euros par mois il y a 15 ans. Aujourd'hui, son revenu tourne autour de 1500 euros par mois.

"La création en danger"

"J'arrive à vivre à peu près correctement", nous dit Marie Spénale, "parce que je vis dans une ville ou la vie n'est pas trop chère et que je n'ai pas d'enfants. Mais je sais qu'il ne faut pas que mon niveau de commandes baisse. Sinon ça n'ira plus. Et je ne peux pas prévoir ce qui se passera demain. Pour l'instant mon style de dessin plaît bien mais est-ce que dans 5 ans ce sera toujours le cas ? Je n'en sais rien. La concurrence entre les illustrateurs est bien plus forte que celle qui existe entre les éditeurs. Cela nous ne nous met pas en position de force. Et nous n'avons pas de chômage, donc si pour une raison ou pour une autre on ne fait plus appel à moi pendant un certain temps, je dois pouvoir tenir sur mes réserves", soulève Marie Spénale.
"Et encore, je ne suis pas la plus à plaindre, car l'essentiel de ma production est constituée de commandes, et non pas de projets d'auteurs, bien plus chronophages et bien moins rémunérateurs ! Il faut bien comprendre que tout le travail qui est fait en amont, le travail de préparation, de réflexion, pendant que l'on fait tout ça on ne gagne pas d'argent. Et c'est ce type de production, plus créatif et novateur, qui est le plus mis en danger en ce moment !"

"Moi je me suis arrêté pendant deux ans. La première année pour faire une pause. Et la deuxième année pour travailler sur un nouveau projet de livre. Du coup je n'ai pas sorti de nouveautés pendant deux ans. Et bien cette année j'ai touché 8000 euros de droits et tout et pour tout pour toute l'année", confie Erik L'Homme. "C'est un peu une fuite en avant. Si on s'arrête, on se met en danger", souligne l'écrivain.

"C'est vrai qu'on ne peut pas vraiment s'arrêter. Et en plus nous les illustrateurs, on est en bout de chaîne, donc on se prend toute la pression. Du coup on est tout le temps dans l'incertitude et par exemple prendre des vacances, ce n'est pas simple", ajoute Marie Spénale.

Une meilleure rémunération et un statut

Pour améliorer la situation des auteurs, Marie Spénale et Erik l'Homme souhaiteraient que les pourcentages des droits d'auteurs soient plus augmentés. "Nos droits sont moitié moins élevés que ceux des auteurs de littérature adulte", souligne Erik L'Homme. "Et il n'y aucune raison valable à cela, donc c'est injuste", souligne de son côté Marie Spénale, qui ajoute : "Il faudrait aussi plus de transparence dans les chiffres des ventes. On n'a très peu de visibilité sur les ventes de nos livres".

"Ce serait une reconnaissance normale de notre travail", insiste Erik L'Homme. "On vit dans une société qui demande de plus en plus à ses créateurs pour offrir des échappatoires, du divertissement, de l'imagination, mais cette société les traite de plus en plus mal".

"J'aime beaucoup mon éditeur. C'est un excellent éditeur, avec qui j'aime vraiment travailler. Mais le point noir, c'est les droits", dénonce Erik L'Homme. "Et je pense qu'il faudrait aussi un statut pour les auteurs. Un statut qui tienne compte de la spécificité de notre métier. On aime notre liberté. On accepte les risques. Tous les livres ne sont pas forcément des succès publics. Mais par contre, quand ça marche, on voudrait aussi prendre notre part", conclut l'écrivain.


Manifestation et prise de parole à 13H00 sur la scène décodage de Samantha Bailly, présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse.

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