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Dans "La Triomphante", la patronne de Flammarion Teresa Cremisi dévoile ses blessures

Patronne (sur le départ) de Flammarion, éditrice de Michel Houellebecq et de Christine Angot, Teresa Cremisi publie aux éditions des Equateurs son premier roman, "La Triomphante". Le trajet d'une femme brillante née à Alexandrie. Comme elle.
Article rédigé par franceinfo
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L'éditrice Teresa Cremisi (en 2005)
 (AFP)

A la longue liste des écrivains français nés en Egypte (Gilbert Sinoué, Paula Jacques, Robert Solé), il faut désormais ajouter Teresa Cremisi. La patronne de Flammarion, qui quitte son poste début juin, publie le 7 mai un premier roman, intitulé "La Triomphante".Amateurs de secrets sur l'édition française, passez votre chemin : Teresa Cremisi, qui en connaît pourtant tous les arcanes, ne les dévoile pas ici.

Mais comment ne pas chercher dans cette fiction, où la narratrice est une femme de pouvoir italienne grandie en Egypte, les traces autobiographiques d'une éditrice au parcours éblouissant ? Comment ne pas y lire des blessures, jamais effacées ?

La nationalité française refusée

Il y a ce jour cuisant où la narratrice, qui porte à la France "un amour un peu insensé" depuis l'enfance, se voit refuser la nationalité française. Son récit fait froid dans le dos : tout un parcours d'obstacles à franchir, dont un test d'aptitude français compliqué à plaisir.Trente minutes pour 25 questions. Ce n'est pas l'épreuve qui lui vaut un refus, mais l'"application de l'article machin chose" (qu'elle ne détaille pas).

Teresa Cremisi, que nous avons interrogée, nous confirme par mail que "l’épisode est véridique". "L’épreuve de français est arrangée, ajoute-t-elle, mais correspond à la réalité. En revanche, à la différence de ma narratrice, j’ai des amis qui ont signalé ce refus à François Hollande et les choses se sont réglées en quelques semaines. Aujourd’hui j’ai la double nationalité."

Alexandrie, comme un paradis perdu

Si cet épisode est le plus saillant du livre, les plus belles pages, elles, sont consacrées à Alexandrie où la narratrice voit le jour (comme l'auteure). Au cœur donc de cette Egypte cosmopolite pré-Nasser qui reste comme un paradis perdu aux yeux de ceux qui y ont grandi. Voilà la mère, qui n'a jamais mis les pieds en Angleterre, mais possède un passeport britannique. Voici le père, qui a, lui, un passeport italien, plus facile à obtenir (tout se monnaie). Les cousins possèdent "d'autres passeports encore (allemands, espagnols, ou, mieux encore, suisses – le comble du chic"). Aucun de ces documents, dus au hasard ou à l'argent, n'a la moindre importance.

Des décennies plus tard, la narratrice se souvient comme d'un eden de la plage ensoleillée d'Aboukir où son père, inlassablement, retraçait la bataille du même nom (qui se solda en 1798 par la victoire de Nelson sur Bonaparte). Et où l'on dégustait, à l'approche du soir, des oursins découpés avec des couteaux rouillés. La crise du canal de Suez en 1956, provoque le départ des habitants d'Egypte à passeport européens, et signe la fin d'une époque.

La fuite d'Egypte

La narratrice raconte la fuite du pays, avec ses doublures de vêtements bourrées de livres égyptiennes, et l'arrivée en Italie. La brillante élève qui parle déjà quatre langues (dont l'arabe et le grec) va d'elle-même s'inscrire dans une école privée.

Elle rattrape son retard en italien (qu'elle parle mais n'écrit pas encore correctement) et commence à dévorer la littérature, qui sera la passion d'une vie. C'est le comte Mosca, dans La Chartreuse de Parme, qui lui donne le meilleur des conseils. Pour évoluer en société ? Nul besoin de croire aux règles du jeu : il suffit, comme au whist, de les appliquer (quitte à tricher un peu).

"Minuit et demi. Comme les années ont passé"

La seconde partie du roman se fait un peu moins prenante, et probablement moins autobiographique. La jeune fille surdouée prend la tête d'une imprimerie et débute une irrésistible ascension dans une grande entreprise (non, ce n'est pas un groupe d'édition...). Sa carrière l'entraîne à Paris, mais, après la naturalisation refusée, elle retourne en Italie pour écrire, et se pencher sur son passé. Et de citer les vers du poète alexandrin Constantin Cavafis, ce "gentleman grec en chapeau de paille qui se tenait debout, parfaitement immobile, en biais par rapport à l'univers" :"Minuit et demi. Comme l'heure a passé. Minuit et demi. Comme les années ont passé".

Teresa Cremisi, qui a fait la pluie, le beau temps et les best-sellers dans l'édition, a-t-elle, elle aussi, été plus "en biais" qu'on ne le soupçonnait jusqu'ici ? En bonne disciple du comte Mosca, elle a feint d'adopter des règles pour mieux les plier à sa convenance. Comme "La Triomphante" - titre du livre qui n'est pas un qualificatif, mais le nom d'une corvette du XIXe siècle, elle a sans doute aimé braver les tempêtes. Et filer par grand vent, toutes voiles dehors.

La Triomphante, Teresa Cremisi (Editions des Equateurs, 17 euros)

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