Le roman raconte ce périple, (l'expédition, même, pourrait-on dire) du point de vue de William Bonnet, dévoilant peu à peu une réalité troublante. Yves Ravey distille le doute de telle manière qu'au fil du récit, on finit par ne plus très bien savoir qui est le plus fou, qui fait quoi, qui est hors la loi… On y repense longtemps après avoir refermé le livre, à essayer de démêler le vrai du faux, à repenser au récit de Bonnet en se demandant s'il ne nous a pas menés en bateau depuis le début.
Roman noir minimaliste
Le romancier est un maître dans l'art de troubler son lecteur, l'air de rien. Il parvient à créer un climat de terreur en juxtaposant la menace au banal, à la manière d'Hitchcock. Il sait nous glacer le sang, par exemple, avec une scène parfaitement anodine de dégustation de milk-shake dans un bar … L'essentiel est hors-champ, entre les lignes, se niche dans les détails, la violence est sous-jacente et la vérité jamais où l'on croit qu'elle est.
Tout cela avec en arrière-plan une peinture sociale, qui met en scène des personnages enfermés dans leur condition. Yves ravey dessine aussi la France et ses paysages, ses banlieues, ses zones pavillonaires et industrielles, ses motels ou ses cafés de centre-ville. On y voit les photographies de Raymond Depardon. En prime : un art consommé du dialogue, et l'humour souvent en embuscade. Il y a aussi toutes ces petites phrases à double sens : où "faire fondre la glace" ne fait pas seulement référence au milk-shake et "tourner à l'orage" à la météo.
L'écriture d'Yves Ravey, limpide et discrète, est redoutablement efficace pour servir un récit obscur et déroutant. La performance tient autant de l'écriture que de la construction romanesque, et notamment du choix du narrateur, celui-là même qui est censé détenir la vérité, mais qui trimballe le lecteur de bout en bout, le laissant pantelant sur le bord de la route, avec des questions non résolues, preuve que la vérité n'est jamais qu'une question de point de vue. Une fois encore Yves Ravey sème le trouble, et on se laisse faire avec délice.

Extrait
"Le cri de Mathilde a jailli dans l'air, suivi d'un claquement de porte. Je me suis levé, ébloui par le soleil, en renversant la chaise, à la recherche des mes lunettes à verre fumé : Mathilde, vêtue d'un déshabillé, lançait sa valise ouverte sur le parking, une jupe chiffonnée dans la main. J'ai couru."