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"Quand Dieu boxait en amateur", de Guy Boley : la gloire de son père

Avec "Quand Dieu boxait en amateur" (Grasset), Guy Boley rend hommage à son père, boxeur et comédien amateur. Ce deuxième roman après le très primé "Fils du feu", conjugue histoire d'amour filial, lien d'amitié nouée dans l'enfance et hymne à la littérature et aux mots. Encore un très beau roman de cette rentrée 2018.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
L'écrivain Guy Boley 
 (JF Paga)
L'histoire : l'histoire commence dans un hôpital, à Besançon. Un homme est étendu sur le sol "entre la chambre et la salle de bain, le buste sur le carrelage, les jambes sur la moquette". Cet homme retrouvé mort au petit matin est le père du narrateur, René Boley. Ancien forgeron, ancien boxeur et acteur amateur, jamais ou presque sorti de sa ville natale, Besançon, ni de son quartier populaire, pas loin du dépôt de locomotives et des cheminots. René est né et mort dans le même hôpital, "distance entre le lieu de sa naissance et celui de sa mort : trois étages".

René a grandi seul avec sa mère, "lapidaire", "rocailleuse", et veuve (le père s'est fait écraser "paf-entre-deux-wagons-comme-une-crêpe-le-pauvre"). Le garçon aime les mots, et il aime lire. Mais cela ne plaît guère à sa mère, "elle dit que ça vous zigouille les méninges et que ça abîme les yeux ; les histoires inventées, elle les nomme des romances de gonzesses". 

"La culture est une affaire d'élégants, d'oiseux, d'aristocrates"

René a un ami, Pierre, dit Pierrot. "Le copain de toujours. Le frère incontournable". Avec lui René partage les jeux, les sottises, les premiers émois, et surtout, l'amour des livres. "Ils ont tous deux, côte à côte, dévoré les romans de jeunesse et les livres d'énigmes, les Jules Verne et Alexandre Dumas, les Jack London et autres aventuriers des lettres, jusqu'à ce que mon père finisse par se lasser des choses romancées et qu'il ne jette son dévolu sur un seul ouvrage : Le Petit Larousse illustré."

Seulement voilà, dans ce pays rural, dans "ce quartier populaire, d'ouvriers et de cheminots, on aime la boxe, l'opérette, le musette accordéon, on ne lit quasiment pas, la culture est une affaire d'élégants, d'oiseux, d'aristocrates".

La veuve veut faire de son fils unique un homme, alors elle l'inscrit au club de boxe, et l'envoie à 14 ans à la forge, "parce que ça fait un salaire de plus à la maison".

"Hercule en jupette, acrobate chinois, portefaix mandarin"

Mais on ne contrarie pas une nature. Ectropion, empyreume, éphorie, rondache, sélénieux, quartaux, xiphoïde… René aime les mots. Entre la forge et la boxe, il les collectionne, dans un carnet, retrouvé par le fils après sa mort. Et il y a aussi la scène. Celle du ring, qui lui offre l'un de ses plus beaux rôles.

Mais c'est surtout le théâtre, qui fait vibrer René. Il écrit en cachette une opérette, et joue des petits rôles dans les spectacles du théâtre municipal : "Hercule en jupette, acrobate chinois, portefaix mandarin, bourreau médiéval, clown pékinois ou simple hallebardier". Mais c'est son ami Pierrot, devenu l'abbé Delvault, qui va lui offrir le rôle de sa vie : Jésus dans La Passion de notre Seigneur Jésus-Christ…

"Madeleine proustienne aux effluves de forge"

La découverte du petit carnet, "madeleine proustienne aux effluves de forge", appelle pour l'auteur des mots, et une histoire. "Mais qu'en savais-je vraiment, de son pays d'enfance dont je n'avais reçu, de la bouche des anciens, que de rares ondées comme fleurs qu'on arrose ? Il me faut désormais le recoudre, ce passé déchiré, assembler pièce par pièce le manteau d'Arlequin, puis frapper les trois coups pour que le rideau s'ouvre et que sur les tréteaux, glorieux et souverain, apparaisse cet homme que je pourrais sacrer : mon père ce héros. Mon roi d'éternité."

Guy Boley, le fils, s'empare des mots, les assemble, et en fait littérature. Un cadeau posthume à un homme amoureux de la langue, "artiste, sensible, créateur", mais dont la condition empêcha la pleine éclosion de ses plus grandes aspirations.

Guy Boley peint avec justesse et pudeur les sentiments qu'un père suscite dans le cœur de son fils, des sentiments qui peuvent à l'adolescence s'altérer, et laisser un goût amer quand il s'agit de la honte. Les sentiments aussi que ressentent l'un pour l'autre deux amis d'enfance, pareils à "deux lierres à jamais enlacés".

René sous la plume de son fils

De son écriture forte et vive, tantôt cognant, tantôt tendre, pleine d'images, pleine d'humour, Guy Boley démiurge dessine un merveilleux personnage, son père, donnant à son prénom tout son sens et lui rendant sa gloire.

"Quand Dieu boxait en amateur" est un hommage à un père et à son monde, celui des hommes et des femmes qui naissent, grandissent, et meurent dans ces quartiers "d'ultime catégorie", eux aussi animés par de grands rêves.
 
"Quand Dieu boxait en amateur", Guy Boley
(Grasset – 176 pages – 17 euros)

Extrait :

Encore quelques années, et même quelques mois, et à n’en pas douter, ça va finir par arriver. Il boxera comme un professionnel. Il aimerait tant que sa mère soit enfin fière de lui et qu’elle le considère autrement que comme une esquisse d’homme, ou que l’ombre d'une ombre aplatie comme une crêpe, paf-entre-deux-wagons. Il ne sait pas encore quelle mourra subitement, noyée dans la rivière qui entoure la ville, en tombant de ce pont qu’elle traversait quotidiennement à fin d’aller faire ses ménage chez les bourgeois du centre-ville, d'aucuns prétendant qu'elle n'en tomba pas, mais qu'elle l'enjamba, et puis qu'elle en sauta. Quoi qu’il en soit, glissade ou sabotage, elle disparaîtra du monde des humains avant qu’il ne parvienne à la plus haute marche et qu'on pose sur son front les lauriers de la gloire. Il ne sait pas non plus qu’à défaut d’une mère, ce sera son fils qui, plus tard, arrachera au Petit Larousse des mots d’or et de jade, de porphyre et de marbre, pour le glorifier".
Le déifier.
Et sanctifier son nom sur cet autel païen qu’on nomme littérature."

"Quand Dieu boxait en amateur", Guy Boley, page 64

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