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"Les Rêveurs", premier roman d'Isabelle Carré : "Je suis une actrice connue, que personne ne connaît"

Isabelle Carré a pris la plume et publie "Les Rêveurs". Dans ce livre qui commence comme un roman, et qui s'achève plutôt comme un récit autobiographique, la comédienne raconte son enfance et son adolescence dans les années 70 dans une famille un peu décalée. Un premier roman réussi, à la fois drôle et émouvant, qui révèle ce que cache l'énigmatique constance de son sourire.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
La comédienne Isabelle Carré, décembre 2017
 (ERIC DESSSONS/JDD/SIPA)

L'histoire : Isabelle Carré ouvre son livre avec cette phrase d'Aragon : "Le roman, c'est la clé des chambres interdites de notre maison". Suivons d'abord la narratrice dans la chambre de la mère. Jeune fille de bonne famille, elle vit dans un château, mais c'est en pension qu'elle va à l'école. Pendant les vacances, elle participe à des rallyes, ces soirées où les filles reçoivent en robe de soirée, "avec piste de danse et buffet digne d'un mariage". La garantie d'une bonne rencontre.

Un slow sur "Les neiges du Kilimandjaro" et les grandes mains d'un garçon un peu plus âgé qu'elle qui courent dans son dos suffisent à cette jeune fille qui croit que l'on peut être enceinte par l'oreille à franchir le pas. Elle entame une idylle. L'affaire se terminera dans un studio à Pantin, le ventre plein, la famille sur le dos et l'homme du Kilimandjaro évaporé. Il ne faut pas que ça se sache. La famille a tout prévu. La "fille-mère" accouchera dans une clinique de bonnes sœurs juste à côté de ce petit appartement de Pantin loué dans un quartier où la jeune fille ne risque pas de croiser une connaissance de la famille, puis sans discussion elle abandonnera l'enfant…

Ouvrons maintenant la chambre du père. Il est étudiant aux Beaux-Arts, issu d'une famille modeste, des cheminots. Il arrive peu de temps après que l'homme du Kilimandjaro a disparu. Il tombe bien. La mère n'a plus du tout envie d'abandonner son enfant. Elle envoie balader sa famille. Il l'aide à quitter Pantin, l'épouse, et devient le père de son enfant. La narratrice est celle qui arrivera juste après. Ils auront trois enfants. Ils formeront une famille. Un peu bohème, mais une famille presque comme les autres. Ils vivent dans un appartement dont tous les murs sont peints en rouge, font des vacances bizarres, vont à Orly voir décoller les avions, mais les poupées barbies sont interdites... Bobos avant l'heure. Si l'on s'attarde dans la chambre de la mère, on s'apercevra qu'elle décroche, qu'elle ne mange plus beaucoup, qu'elle est triste, de plus en plus absente à elle-même et aux autres. 

Ce que cache la constance d'un sourire

Il faut entrer plus avant dans la chambre du père pour découvrir ce que lui-même mettra du temps à s'avouer, et qui prendra d'abord la forme d'une teinture blonde, avant un coming-out arraché après que la mère l'aura surpris dans les bras d'un homme dans son atelier.

Pendant que les parents se cherchent, entrons à présent dans la chambre de la narratrice. On y trouve des joies enfantines, des rêves de jeune fille : devenir danseuse étoile… ou majorette. On sourit, on éclate de rire, avant de trébucher sur le mal-être, celui de l'adolescence, qu'elle pousse dans ce terreau complexe jusqu'à l'extrême, avec une tentative de suicide. Mais la jeune fille a de la ressource. À la sortie du tunnel l'idée lui apparaît comme une révélation : le théâtre la sauvera, elle en est certaine.  

Voilà ce que raconte ce roman, sans cérémonie, avec une sincérité bouleversante. On ne peut pas s'empêcher tout au long de cette lecture d'entendre la voix clochette de cette rayonnante comédienne, qui ouvre avec ce livre une porte sur ce que cache l'énigmatique constance de son sourire.

Isabelle Carré déploie son texte sans chronologie, laissant à sa mémoire le soin de guider le fil du récit. Bribes, flashes, séquences, on avance dans le temps à la manière du flux et du reflux des marées, jusqu'à ce que la mer soit haute, que tout se rassemble, que tout y soit, restitué ou inventé. Peu importe, on referme le livre avec le sourire, contaminé.
 
"Les Rêveurs", Isabelle Carré
(Grasset– 300 pages – 20 €)

Extrait :

Notre vie ressemblait à un rêve étrange et flou, parfois joyeux, ludique, toujours bordélique, qui ne tarderait pas à s'assombrir, mais bien un rêve, tant la vérité et la réalité en était absente. Là encore, et malgré la sensation apparente de liberté, il fallait jouer au mieux l'histoire, accepter les rôles qu'on nous attribuait, fermer les yeux et croire aux contes.
"Au pied de l'arc-en-ciel se dissimule toujours un trésor", nous répétait mon père. Notre univers avait la texture d'un rêve, oui, une enfance rêvée, plutôt qu'une enfance de rêve."

"Les Rêveurs", page 62 Isabelle Carré (Grasset)

Isabelle carré / Soir 3 du 12 février 2018

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