"Je m'appelle Riad. En 1984, j'avais 6 ans et j'étais toujours un homme éblouissant"
Ce deuxième tome couvre l'année 1984-1985. La famille est installée à Ter Maaleh, un petit village près de Homs en Syrie. Riad retrouve ses cousins, fait l'expérience de l'école avec une maîtresse dont la tenue -hidjab, jupe courte et talons hauts- est à l'image de ses contradictions : elle alterne douceur et pure cruauté pour inculquer aux enfants ce qu'elle considère comme les principes d'une bonne éducation. Patriotisme, piété et propreté en étant les piliers principaux.
Entre chants patriotiques et Sourates
En classe, les enfants lisent les sourates du Coran. Le petit Riad trouve ça beau, mais n'y comprend rien. Une enquête dans la cour l'informe qu'il n'est pas le seul dans ce cas, mais que "plus on grandit, et plus on comprend. Et qu'à un moment, tout devient clair, et on se pose plus de questions". Dans la cour et dehors, il apprend aussi à jouer à "tuer le plus de Juifs possible"…L'enfant observe aussi les adultes : son père dans ses tentatives plus ou moins maladroites pour s'introduire dans la bonne société syrienne, ses courbettes au "Général", un cousin haut gradé vivant dans une villa de luxe à moitié délabrée, et dont la femme est couverte de bijoux et fait semblant de savoir parler anglais, et le fils un affreux tyran (beaucoup d'enfants sont brutaux, affreux et cruels chez Sattouf).

Décalage
Riad Sattouf joue du décalage, et c'est ce qui fait toute la force de son récit. Pas de procès, pas de discours, mais le regard candide d'un enfant sur le monde qui l'entoure. Et c'est ce regard sans préjugés qui met en lumière la violence, les contradictions, la bêtise des hommes. Le seul personnage qui donne ouvertement son avis, c'est la mère, vite remise à sa place par le père, rabrouements souvent de pure forme : le père de Riad a sa fierté, et cela n'est pas rien en Syrie.Riad Sattouf montre la difficulté du père à vivre entre deux cultures. Attaché d'un côté aux valeurs de son pays, mais en même temps pas complètement dupe de l'absurdité et de la violence du monde d'où il vient.
Certaines pages sont savoureuses, et notamment celles où les cousins expliquent à Riad le statut des femmes. Là encore pas de jugement, mais des dialogues bruts de décoffrage. Hilarant. Troublant (au regard de l'actualité), l'épisode narrant le petit voyage familial à Palmyre…

La méthode Sattouf : ultra efficace, jamais offensante
Sur la forme, Riad Sattouf peaufine son style : la couleur comme indication de lieu, et des clins d'œil aux couleurs des drapeaux. Et aussi le triple niveau du récit (la voix du narrateur, les dialogues et les indications fléchées) conjugué aux dessins. Cette alchimie narrative fait merveille : l'histoire rebondissant d'un texte à l'autre, d'une image à une autre… Cette juxtaposition donne au récit toute sa finesse et son intelligence, et laisse au lecteur le soin de réfléchir par lui-même à ce qui lui est donné à voir. Et c'est là que réside le génie de la méthode Sattouf : ultra efficace, jamais offensante.Le premier tome de "L'arabe du futur" a fait un carton en librairie. 200 000 exemplaires vendus depuis sa sortie, son roman graphique est traduit dans 15 pays et il a reçu le Fauve d’or du meilleur album de l’année 2014 à Angoulême.
Riad Sattouf avait expliqué à sa sortie qu'il avait décidé d'écrire cette autobiographie au moment où la guerre a commencé en Syrie. L'auteur des "Beaux gosses" a longtemps collaboré à Charlie Hebdo (publication chaque semaine depuis 2004 de "La vie secrète des jeunes"). Après le 11 janvier il n'a pas souhaité s'exprimer. Tout juste a-t-il effleuré pudiquement le sujet lors de la remise de son Fauve d'or à Angoulême : "C'est un mélange de joie et de tristesse. Il s'agit quand même d'une période particulière pour moi. Tout le monde est triste. Mais la chose importante, c'est de continuer à faire des livres et de les dessiner. C'est ce que je vais essayer de faire". Et justement, il travaillait alors sur ce deuxième épisode de "L'Arabe du futur". Tout ce qu'il aurait pu dire à ce moment-là est dans cet album qui conjugue drôlerie, intelligence et tendresse. La meilleure réponse à l'obscurantisme et à la violence.
