"En 1933, la haine accède au pouvoir"
Devant sa tombe, on dit à Charlotte que sa tante s'est noyée. "Tel est le premier arrangement avec la réalité. / Le début du théâtre". Il y en aura d'autres. Quand sa mère se jette par la fenêtre, on dit à Charlotte qu'elle a été foudroyée par une grippe. "Ce n'est pas grave, dit-elle. / Maman m'avait prévenue. / Elle est devenue un ange."

Charlotte Salomon et son père Albert
La jeune fille entre à l'Académie des Beaux-Arts de Berlin et tombe amoureuse d'Alfred, le professeur de chant de Paula. Les évènements s'enchaînent : Nuit de Cristal, Munich, la guerre. Son père choisit pour Charlotte l'exil dans le sud de la France. La jeune femme rejoint ses grands-parents à Villefranche-sur-mer, à L'Ermitage, la maison d'Otillie Moore, une riche américaine qui accueille des réfugiés.
"Vie ? ou Théâtre ?"
En 1940 la grand-mère de Charlotte se suicide à son tour. La jeune femme est internée avec son grand-père dans le camp de Gurs. C'est après sa libération qu'elle compose en quelques mois son œuvre autobiographique "Leben, oder Theater?" (Vie? ou Théâtre). Elle y mêle peintures, textes, citations et musique. Elle fait aussi des dizaines de portraits de son amoureux Alfred… "C'est toute ma vie", dit-elle à un ami médecin à qui elle confie son œuvre (plusieurs centaines de gouaches et textes peints) rassemblée dans une valise.

Le romancier guide le lecteur dans cet entrelacs de drames ajoutés les uns aux autres. "Pour l'instant restons avec Charlotte. / La première Charlotte. / Elle est belle, avec de longs cheveux noirs comme des promesses"… Avec délicatesse, l'écrivain déroule son récit, phrases courtes jetées les unes derrière les autres et retour systématique à la ligne, comme pour donner au lecteur le temps de reprendre son souffle à chaque pas qu'il fait dans la vie tragique de Charlotte Salomon.
David Foenkinos a donné à son récit la forme d'un long et beau chant, celui d'une vie mal commencée, puis massacrée par la barbarie nazie. 6 millions de Juifs ont été exterminés dans les camps nazis. L'un de ces êtres était Charlotte Salomon. En même temps qu'il lui rend hommage, le romancier lève le voile sur le mystère d'une œuvre, en sillonnant le terreau qui l'a fait naître. Un roman fort de la rentrée 2014.

Extrait :
"Au retour de la Belle Aurore, tout change.
Charlotte se sent plus que jamais envahie par l'urgence.
Il faut agir sans perdre de temps.
Son trait est plus vif encore.
De nombreuses pages ne comportent que du texte.
Il faut raconter l'histoire de sa famille.
Avant qu'il ne soit trop tard.
Certains dessins sont d'avantage des croquis.
Elle ne peint pas, elle court.
Cette frénésie de la seconde moitié de l'œuvre est bouleversante.
Une création au bord du précipice.
Recluse, maigrie, apeurée, Charlotte s'oublie et se perd.
Jusqu'au bout.
Dans une lettre elle écrira ces mots de conclusion :
J'étais tous les personnages dans ma pièce.
J'ai appris à emprunter tous les chemins.
Et ainsi je suis devenue moi-même."