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Le voguing, cette danse "où l'on peut être ouvertement homosexuel et de couleur"

C'est plus qu'une danse, c'est un véritable mouvement. Le voguing existe aux Etats-Unis depuis les années 1960. Dès ses origines, le style s'impose comme une revendication symbolique, un cri de liberté pour la communauté LGBT noire, souffrant d'une double discrimination. C'est devenu aujourd'hui un véritable phénomène en France, notamment grâce à Kiddy Smile, son plus célèbre représentant.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Extrait du film "Leave it on the floor"  (2012) 
 (LEAVE IT ON THE FLOOR / SHELDON / COLLECTION CHRISTOPHEL)
Devant des barres d'immeubles, des gays et transexuels noirs ou arabes volontairement maniérés dansent sur des rythmes électro: l'artiste Kiddy Smile (aux Trans Musicales la semaine prochaine) donne corps en France au voguing, mouvement d'émancipation issu de la communauté LGBT noire américaine. Plus de 500.000 internautes ont visionné en quinze mois "Let a B!tch know", le clip du pape français de ce mouvement de moins en moins confidentiel. On y voit des danseurs lascifs ou athlétiques, maquillés, portant cheveux longs et survêtement. Ils détruisent aussi une voiture à coups de barre de fer, avant de l'incendier.

"La France n'assume pas son racisme ambiant...même à l'intérieur de la communauté LGBT" 

"Le voguing, c'est un espace politique dans lequel on peut être ouvertement homosexuel et de couleur", affirme Kiddy Smile, à la chevelure teinte en jaune et orange. Lui dit faire partie des "opprimés". "Mon quotidien, c'est la France, un pays qui n'arrive pas à assumer son racisme ambiant", à l'oeuvre "même à l'intérieur de la communauté LGBT", soupire-t-il. "Et en plus de ça, il faut gérer toute l'homophobie". Le voguing avait déjà fait l'objet d'un film, "Leave it on the floor", sorti en 2012. 


De cette double discrimination naît dans les années 1960 aux Etats-Unis le mouvement "ball room" (salle de bal), dont le voguing est une discipline. Marginalisées au sein de la communauté LGBT américaine, "les drag-queens noires et latinos se sont saisies du mouvement Black Power pour politiser leur propos", raconte Lissia Benoufella, une danseuse titulaire d'un master en étude des genres, spécialiste du sujet. Elles ont alors organisé leurs propres concours de beauté dans des "ball rooms", où elles posaient et défilaient en parodiant les élites blanches, dont elles grossissaient les traits. 
 

"Voguer permettait à ces gays, pauvres, souvent travailleurs du sexe de devenir top-models, riches, blancs" 

Le voguing dansé a ensuite progressivement vu le jour. La magazine "Vogue était l'incarnation de tout ce à quoi cette communauté ne pouvait avoir accès : luxe, mode, capitalisme, richesse", énumère-t-elle. Le temps d'un soir, "voguer" permettait à ces "gays, pauvres, souvent travailleurs du sexe", de "devenir top-models, riches, blancs".
 
Près d'un demi-siècle plus tard, Paris s'est mué en capitale européenne du voguing. La "danse de combat" y sert de "refuge" à quelques centaines de jeunes de couleur, "qui ne vivent leur homosexualité qu'au sein de cette scène confidentielle", remarque Yohan Amaranthe, président du collectif Paris Black Pride.

L'âme du voguing en péril

Seul bémol, le mouvement a commencé à devenir tendance et marchandisé. Le phénomène a démarré en 1990 aux Etats-Unis avec la chanson "Vogue", de Madonna, que Lissia Benoufella qualifie d'"incarnation de l'appropriation culturelle". Récemment, Katy Perry a repris des chorégraphies de voguing dans un clip, mais "les danseuses étaient des blanches". Tout comme les performeuses d'un show pour la marque de luxe Dior, soupire-t-elle.

Le voguing craint de perdre son âme. "N'importe qui peut apprendre une danse", peste Mme Benoufella, pourfendant "le capitalisme", qui "se réapproprie tout, mais oublie l'essentiel: sa politisation."

 

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