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Emma Dante chorégraphie avec force une humanité mise à nu dans "Bestie di scena"

Sans texte, ni décor, ni musique, un groupe d’acteurs nus sur scène évolue au rythme d’objets issus de nulle part, tournant, tournoyant, réagissant à ces ballons, poupées, jets d’eau, nourritures… Ils incarnent une humanité réactive comme des robots désarticulés, à des conjectures inattendues, à l’image d’une humanité sous influence extérieure. Jusqu'au 25 février au Théâtre du Rond Point à Paris.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
"Bêtes de scène" d'Emma Dante (2017)
 (Christophe Raynaud De Lage)

Avertissement : Public averti - Le spectacle comporte de la nudité.

A rebours

Emma Dante construit une dramaturgie de l’humanité qui retracerait à rebours son histoire. Son groupe de quatorze individus court de long en large sur une scène déserte, bien ordonné, à l’unisson. Jusqu’à ce que l’ensemble éclate et parte en vrille, comme pris de folie. Les uns, les autres déposent au passage, au-devant de la scène, qui son T-shirt, qui une chaussure, son pantalon, son soutien-gorge… jusqu’à être nu comme des vers face aux spectateurs. L’acte semble définir une régression, depuis une ordonnance bien réglée et rationnelle (la civilisation) jusqu’à un état primal décervelé.
Une poupée mécanique, dotée du mouvement et de la parole, sort des coulisses attirant leur regard. Une femme sort du groupe et imite sa démarche saccadée, à l’étonnement de tous, jusqu’à la frénésie. Emma Dante soumet ses acteurs à des artefacts, symboliques d’étapes de l’évolution de l’humanité. Ils y réagissent soit collectivement, soit individuellement, et dans ce cas, le comportement rejaillit sur les autres comme le ferait un leader. Après la poupée robotique, image de l’emprise de la technologie sur les sociétés contemporaines, le scénario fait intervenir des objets de plus en plus régressifs, jusqu’à ce que le groupe se transforme en primates sous l’influence d’objets évocateurs de pulsions humaines (un ballon de basket – le jeu/la compétition ; un fleuret - les armes/la guerre…). 
'Bêtes de scène" d'Emma Dante
 (Christophe Raynaud De Lage)

Australopithèques

Le groupe finit par évoquer un clan à l’image des australopithèques qui ouvrent la première partie du film de Stanley Kubrick "2001 : l’Odyssée de l’espace" intitulé "L’Aube de l’humanité". La référence est consciente, vu l’ordonnance chorégraphique des acteurs sur la scène et le sujet, les deux œuvres traitant de l’évolution de l’humanité sous une influence extérieure supérieure, non contrôlable et inexpliquée (dieux, être suprême, extraterrestres…)
  (Christophe Raynaud de Lage)
Dans un gigantesque capharnaüm final, les acteurs se dispersent dans tous les sens, dans une bacchanale intense et chaotique, comme si le déroulement du récit et de l’Histoire se trouvait condensé dans un instant T. Jusqu’à ce qu’une pluie de vêtements s’abatte sur le groupe et lui redonne la raison. Emma Dante créé un spectacle d’une puissance visuelle extraordinaire avec une économie de moyens qui n’a d’égal que sa force. Il faut y ajouter son humour ravageur, irrésistible, qui fait réagir plus d’une fois la salle, par la seule performance physique des acteurs, leur gestuelle, leurs rares borborygmes, en fait leur seule présence. D’un impact émotionnel rare, poétique et signifiant, "Bestie di scena", laisse une trace indélébile en mémoire.

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