Mise à jour
Seul, jusqu’à présent, "La seconda volta", de Calopresti, avec Nanni Moretti et Valeria Bruni-Tedeschi, en 1996, a cherché à mettre à jour ce regard, par la confrontation d’une ancienne terroriste en liberté conditionnelle avec sa victime rescapée.
Annarita Zambrano à Cannes le 23 mai.
© Lorenzo Ciavarini Azzi / CultureboxRomantisme mal placé
Pour Annarita Zambrano, intellectuelle et cinéaste italienne installée à Paris depuis vingt ans, le film était une nécessité. Enfant à l’époque des années de plomb, elle était adulte en 2002, quand l’homicide de Marco Biagi (professeur du droit du travail, conseiller économique du gouvernement de l’époque), revendiqué par des nouvelles Brigades Rouges, a ré-ouvert une réflexion sur les terroristes installés en France : "D’un côté je me demandais pourquoi les Italiens avaient attendu si longtemps pour les rechercher. Qu’ont-ils fait pendant ces vingt ans ?", nous dit Annarita Zambrano, ici à Cannes, ravie de pouvoir expliquer les raisons de ce film qu’elle a mis sept ans à fabriquer. "D’un autre côté", poursuit-elle, "vivant déjà à Paris, je ne comprenais pas le romantisme dont jouissait la figure de l’ex-terroriste italien en France : il devait être beau, cultivé, intelligent… Quelque chose m’échappait et me mettait en colère. Comment ne pas comprendre ce qu’a été la douleur de ces années ? J’ai eu besoin de remettre les choses à leur place, ne fût-ce qu’humainement : ces personnes ont détruit des vies et la leur en même temps".L'ex-terroriste, un homme banal
Le film est conçu, selon Annarita Zambrano, comme la relecture d’une tragédie grecque autour d’une histoire privée qui se trouve mêlée à une histoire d’intérêt public. Le sujet est tragique, humain, avant d’être politique. La mise en scène est d’une sobriété exemplaire, faisant reposer la narration essentiellement sur l’écriture des personnages. Le premier, Marco : "il devait, dans mon film, avoir une certaine banalité" dit la réalisatrice : "pas un héros incroyable, brillant. La vérité est que le mal que ces terroristes ont fait (et que font également les terroristes d’aujourd’hui) est immensément plus grand qu’eux". Marco est campé par Giuseppe Battiston, l’un des comédiens les plus intéressants de sa génération en Italie, homme épais, "imposant, à la Orson Welles", ajoute Annarita Zambrano.Deuxième personnage clé, celui de la fille Viola, brillamment tenu par la Française Charlotte Cétaire, incarne l’espoir d’un renouveau. Fille de son temps, fille de la France davantage que d’une Italie dont elle ne connaît même pas la langue, elle doit pourtant se réinventer en tenant compte de cette culture d’origine. "C’est une catharsis, comme dans toutes les tragédies, née ici d’un sacrifice. Sa nouvelle vie ne sera pas nécessairement la plus belle vie au monde, car elle y perd sa jeunesse et son innocence", dit la réalisatrice. Enfin, le dernier personnage est un ensemble composé des membres de la famille italienne de Marco, confrontée à la séparation et au deuil (déjà d’un premier enfant, toujours pour cause de terrorisme) hier comme aujourd’hui. Repliée sur elle-même, elle ne respire ni la santé ni la joie de vivre. Elle est pourtant essentielle dans la narration, seul lien pour Viola : "c’est le lien du sang, qui fait partie des éléments constitutifs d’une tragédie, et qui est fondamental pour comprendre sa propre histoire", conclut Annarita Zambrotti. Et pour se reconstruire.
LA FICHE
Réalisateur : Annarita Zambrano
Pays : Italie, France
Acteurs : Barbora Bobulova, Giuseppe Battiston, Fabrizio Ferracane
Durée : 1h33
Synopsis : Bologne, 2002. Le refus de la loi travail explose dans les universités. L’assassinat d’un juge ouvre des vieilles blessures politiques entre l’Italie et la France. Marco, ex-militant de gauche, condamné pour meurtre et réfugié en France depuis 20 ans grâce à la doctrine Mitterrand, est soupçonné d’avoir commandité l'attentat. Le gouvernement italien demande son extradition. Obligé de prendre la fuite avec Viola, sa fille de 15 ans, sa vie bascule à tout jamais, ainsi que celle de sa famille en Italie, qui se retrouve à payer pour ses fautes passées