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"Life in 12 Bars", portrait du dieu de la guitare Eric Clapton en homme blessé

On est jamais si bien servi que par soi-même. Sans attendre un âge avancé, ou, pire, sa propre disparition, le guitariste de légende Eric Clapton a commandé à la réalisatrice Lili Fini Zanuck un documentaire sur sa propre vie. Il a bien sûr collaboré à ce film, fournissant nombre de photos et apportant surtout son témoignage et sa voix pour la narration.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
Le dieu de la guitare Eric Clapton dans le documentaire "Life in 12 Bars" de Lili Fini Zanuck.
 (Orsans Distribution)

Avec Clapton, tout commence et tout finit avec le blues. Au propre comme au figuré. L'histoire de cet immense guitariste est en effet jalonnée de tragédies personnelles.

Blessure originelle

Il y a d'abord la blessure originelle de l'enfance, marquée par une lourde histoire de famille : celle qu'il avait toujours appelée maman était en réalité sa grand-mère. Pire, sa mère, qui l'a abandonné à la naissance, le rejette lorsqu'elle ressurgit dans sa vie à l'âge de 9 ans. Cette gifle indélébile va marquer tout le parcours d'Eric Clapton : il n'aura plus jamais confiance en personne. Seulement en la musique, découverte tout jeune en écoutant la radio, et en ses guitares, qui, elles, ne l'ont jamais trahi.

Les obsessions de Clapton

La première moitié du documentaire raconte l'obsession pour le blues de ce jeune musicien déjà remarqué pour sa virtuosité avant ses 18 ans. Puis son ascension au sein de plusieurs formations, en particulier les Yardbirds, John Mayall et Cream, jusqu'à atteindre le statut de guitariste de légende au mitan des années 60.

Instable, Eric Clapton quittera pourtant tour à tour ces groupes sans préavis, notamment lorsqu'ils virent trop "pop" à son goût. Son histoire avec l'industrie musicale venait à peine de commencer qu'il l'exécrait déjà, n'y voyant qu'un nid d'arrivistes.

Cette première partie est également marquée par une autre obsession de Clapton : celle, absolument dévorante, qu'il nourrit sans retour pour Patti Boyd, l'épouse de son ami George Harrison des Beatles.
George Harrison et son épouse Patti Boyd, dont Eric Clapton était fou amoureux.
 (Orsans Distribution)

Descente aux enfers

La seconde partie chronique sa descente aux enfers, un mal d'amour sous perfusion de drogues dures et d'alcool. Mandrax, héroïne, cocaïne, LSD, "je ne savais plus où j'étais", se souvient-il. Cet amour contrarié pour Patti Boyd lui inspire néanmoins son chef d'œuvre, "Layla", au sein du groupe Derek and the Dominos.

Il devient dépressif. L'héroïne passe au premier plan. Il se retire dans son manoir et y vit en ermite, loin du monde, durant quatre ans. En 1974, il est de retour, libéré des griffes de l'héroïne. Mais il replonge aussitôt dans une autre addiction : l'alcool. En tournée, il apparaît ivre sur scène, devient imprévisible et multiplie les esclandres.

Il a même alors une tirade raciste restée dans les annales que le documentaire n'élude pas. "Je me suis dégoûté moi-même", remarque-t-il. "C'était impardonnable. D'autant que la moitié de mes amis étaient noirs et que ma musique l'était aussi. (…) Seule la bouteille comptait. Je devenais facho."

Il réussit finalement à entamer une relation avec Patti Boyd. Quelques années plus tard, la naissance de son petit garçon, Conor, conçu durant une liaison avec un mannequin italien, va le rattacher à la vie et le remettre sur pied. Trop brièvement. L'enfant disparait tragiquement en 1991 à l'âge de 4 ans, en tombant du 53e étage d'un immeuble de Manhattan. A nouveau, Clapton perd la foi. Et écrit pour son enfant l'un de ses plus beaux hymnes, "Tears in Heaven".
Eric Clapton en compagnie de Muddy Waters, figure du Chicago Blues que Clapton avait découvert tout jeune en écoutant une émission pour enfants à la radio !
 (Orsans Distribution)

Un documentaire un peu long au style singulier

"Life in 12 Bars" ne ressemble pas à un documentaire classique, articulé autour de témoignages d'intervenants face caméra. Le film de Lili Fini Zanuck privilégie les archives personnelles, les photos commentées et les documents audio d'époque (on y entend Hendrix, entre autres), ponctués de quelques séquences vidéos rares et fortes, notamment en compagnie des Beatles.

Il y a aussi, au cœur du documentaire, deux petites séquences remarquables et méconnues, l'une de Dylan regardant un concert de Clapton avec John Mayall, et l'autre dans laquelle Clapton, en costume psychédélique, se retrouve à jouer à l'improviste avec Aretha Franklin et Bobby Womack. "Aretha a d'abord ri", commente dans le film Ahmet Ertegün, le patron d'Atlantic Records, "mais quand Clapton a commencé à jouer elle a arrêté de rire".

Bien qu'elle lui ai sauvé la vie, il est finalement assez peu question de musique dans ce film un peu long à l'esthétique minimaliste. Il s'agit davantage d'un portrait d'homme blessé que de celui du dieu de la guitare Eric Clapton. Ce héros discret s'y dresse une statue à sa façon, doloriste et sans gloriole, tout en disant se moquer du fait qu'il n'y aura bientôt plus personne à savoir qui il était.
"Clapton is GOD", une photo passée à la postérité.
 (Orsans Distribution)

LA FICHE

Documentaire de Lili Fini Zanuck
Pays : Grande-Bretagne
Durée : 2h14
Date de sortie : le 23 janvier 2019

Synopsis : Eric Clapton est pour des millions de gens une légende vivante du Blues et du Rock. Véritable icône, il a traversé les décennies, connaissant gloire et successions d’épreuves. Malgré sa pudeur, il nous livre pour la première fois l’ensemble de sa vie y compris ses drames les plus intimes. 



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