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"Les Chatouilles" d’Andréa Bescond et Eric Métayer: se reconstruire par la danse

Comment parler du drame de la pédophilie au cinéma ? Dans "Les Chatouilles", premier film d’Andréa Bescond et Eric Métayer, le récit personnel emprunte au théâtre et à la danse pour une écriture à la fois grave et solaire, poétique et drôle. Adaptation cinématographique d'une pièce présentée à Avignon en 2014, le film a été reçu au dernier Festival de Cannes avec enthousiasme et émotion.
Article rédigé par franceinfo - Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Pierre Deladonchamps et Cyrille Mairesse dans "Les chatouilles" d'Andréa Bescond et Eric Métayer.
 (Stéphanie Branchu - Les Films du Kiosque)

Commençons justement par la fin, par la réception des "Chatouilles" au Festival de Cannes où le film a été présenté dans la sélection Un certain regard. Et accueilli par dix minutes d'applaudissements ininterrompus, en présence de l'équipe du film au complet (Andréa Bescond et Eric Métayer, Karin Viard, Clovis Cornillac, Pierre Deladonchamps...), presque surprise par une telle ovation, au milieu des larmes et des "merci" lancés par la salle. Cette complicité avec le public a eu quelque chose de magique.

Reportage : E. de Pourquery / N. Hayter / Y. Bodin / O. Lecointe / B. Vidal


"Les chatouilles" est un premier film. C’est l’adaptation au cinéma du spectacle de théâtre et de danse imaginé par la chorégraphe et comédienne Andréa Bescond avec son mari le metteur en scène Eric Métayer, d’après son histoire, l’agression sexuelle répétée, subie quand elle était enfant. Révélation au Off d’Avignon en 2014, il a vécu une belle carrière depuis, au point d’en faire un film. Revenons donc au début.

Abus répété, mais toujours tenu secret

Odette (jouée par la jeune comédienne Cyrille Mairesse) est une petite fille de huit ans qui joue dans sa chambre, souriante et paisible, quand Gilbert, voisin et ami de la famille vient lui proposer – lui imposer, devrait-on dire – des "chatouilles". Les réalisateurs du film n’ont pas peur de nommer la chose : l’abus sexuel est évoqué clairement. Avec pudeur, mais sans trop de détours. La souffrance, aussi, est dite, immédiatement. L’abus de Gilbert sera répété, deviendra régulier, mais sera toujours tenu secret par la petite fille parce qu’il n’est pas facile de prévenir les parents.
Karin Viard, Andréa Bescond et Clovis Cornillac dans "Les chatouilles".
 (Stéphanie Branchu - Les Films du Kiosque)
Abus dévastateur pour la gamine, pour l’adolescente qu'elle devient, puis pour la jeune femme. Qui, brusquement, la trentaine, fait irruption dans le film (cette fois Anrdéa Bescond elle-même), dans les mêmes scènes que la gamine, aux côtés d’une psy. Les deux Odette (gamine et adulte) cohabitent donc dans le film, créant un effet poétique, parfois humoristique, et une distance dans le récit.

Avec la psy (campée avec doigté par Carole Franck), péniblement, avec éclat, Odette remonte le fil. D’une jeunesse en dents de scie, meurtrie malgré les moments de lumière. D’un parcours de jeune adulte chaotique, entre drogue, alcool et rencontres sans lendemain. Pourquoi elle n’en a pas parlé avant. Comment elle a géré ce traumatisme. Comment elle l’a enseveli. La psy est là, partout dans le film, à toutes les phases. C’est fort, souvent très drôle. Comment parler, au cinéma, de la persistance de ce mal subi, puis de la résilience ?

Reportage : P.Deschamps, F.Bazille, T.Le Hec, S.Gravelaine


L’intrusion de la danse

La rencontre avec la psy est forte et sobre à la fois. C’est aussi une très jolie trouvaille de mise en scène qui insuffle perspective et rythme. Une autre est l’intrusion de la danse. Dans ce récit mémoriel éclaté, la danse est là parce qu’elle a toujours été, en vrai, salvatrice et fil conducteur de la vie d’Andréa Bescond  Elle en a fait son métier et Odette dans le film quitte le foyer pour un conservatoire de danse parisien, puis s’engage dans des tournées de comédies musicales à grand succès. Mais, toujours dans le film, la danse est plus que cela, elle est une énergie constante. Et des parenthèses récurrentes : fond noir et Andréa sous la lumière, la danseuse se meut, se plie, se crispe, se retourne, tremble à l’excès, s’effondre, se relève. Moment suspendu. 
Andréa Bescond et Grégory Montel.
 (Stéphanie Branchu - Les Films du Kiosque)
Dans son drame, Odette n’est pas seule. Et "Les Chatouilles" montre bien combien le traumatisme de l’abus sexuel sur un enfant bouleverse l’entourage, quand, enfin, les choses sont dites et sues. La famille, en premier chef, qui soit accompagne Odette dans la compassion, comme le père (Clovis Cornillac), sans parvenir pour autant à l’apaiser pleinement, soit se réfugie dans le déni, comme la mère (Karin Viard, d’une dureté rare), incapable d’aider sa fille. Le soutien le plus précieux viendra d’abord de l’ami (Gringe), puis de l’amant (Lenny, Grégory Montel), qui peu à peu parvient à partager sa souffrance.

Malgré les quelques imperfections d’une première œuvre, "Les Chatouilles" est un film qui tient par l’incroyable énergie qu’il transmet. Tout à la fois violent, solaire et poétique.

LA FICHE

Genre : Drame
Réalisateur : Andréa Bescond, Eric Métayer
Pays : France
Acteurs :  Andréa Bescond, Karin Viard, Clovis Cornillac, Pierre Deladonchamps
Durée : 1h43
Sortie : 14 novembre 2018

Synopsis : Odette a huit ans, elle aime danser et dessiner. Pourquoi se méfierait-elle d’un ami de ses parents qui lui propose de "jouer aux chatouilles" ? Une fois devenue adulte, Odette libère sa parole, et se plonge corps et âme dans sa carrière de danseuse, dans le tourbillon de la vie…


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