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Foujita des Années folles à la guerre, oeuvres de toute une vie à la Maison de la culture du Japon à Paris

La Maison de la culture du Japon à Paris présente une petite rétrospective de Foujita où, outre ses nus blancs et ses autoportraits, on découvrira les étonnants tableaux de guerre inédits de l'artiste japonais, figure de années 1920 parisiennes, naturalisé français à la fin de sa vie. Jusqu'au 16 mars 2019.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Foujita : à gauche, "Madeleine au Mexique", 1934, The National Museum of Modern Art, Kyoto - A droite, "Bataille de chats", 1940, The National Museum of Modern Art, Tokyo
 (A gauche et à droite © Fondation Foujita / Adagp, Paris, 2018)

Figure dandy du Paris des Années folles, le peintre japonais Léonard Foujita (1886-1968) a passé plus de la moitié de sa vie en France. A l'occasion des cinquante ans de sa disparition, l'an dernier plusieurs expositions ont été organisées, au Japon et en France. Celle du musée Maillol, à Paris, s'était concentrée sur les années 1920.
 
C'est une mini-rétrospective que propose aujourd'hui la Maison de la culture du Japon à Paris, basée sur les expositions de 2018 à Tokyo et à Kyoto. Elle présente trente-six œuvres seulement mais couvre toute la carrière de Foujita ou presque, puisque l'exposition commence avec des toiles réalisées durant ses premières années à Paris.
 
Le lieu ne permettait pas de faire une grande exposition, alors quelques œuvres ont été choisies, mais dans chaque période de sa vie, y compris certaines conservées au Japon et inédites en France, comme celles de la guerre ou de son voyage en Amérique latine.

Foujita, "Les Portes de Paris", 1914, Pola Museum of Art
 (Fondation Foujita / Adagp, Paris, 2018)

Petits paysages de banlieue

Tsuguharu (il se fera appeler Léonard quand il se convertira au catholicisme en 1959) Foujita s'est formé à la peinture à l'huile à l'école des beaux-arts de Tokyo. Fasciné par Monet, il apprend le français dès 1903. Il arrive en 1913 à Paris où il va au Louvre et fréquente des artistes comme Amedeo Modigliani et Chaïm Soutine.
 
De ses premières années à Paris on peut voir trois jolis petits paysages tristes et quasi déserts des portes de Paris, des fortifs et de la banlieue sous un ciel plombé, les fumées d'usines et les fils électriques. Foujita s'est intéressé un temps au cubisme mais il s'en est détourné rapidement.
 
L'exposition s'ouvre sur un portrait de 1929. Coupe au bol, petite moustache et lunettes rondes, anneau à l'oreille, il nous regarde, un pinceau à la main, devant un tableau. A côté de lui, un gros chat suit sa main des yeux. C'est l'image d'un artiste qui est devenu la coqueluche de Paris.
Foujita, "Nu à la toile de Jouy", 1922, musée d'Art moderne de la Ville de Paris / Roger-Viollet
 (Fondation Foujita / Adagp, Paris, 2018)

Les nus blancs, synthèse de l'art oriental et occidental

Une grande salle est bien sûr consacrée à la période faste des années 1920. Celle où il est au cœur de l'Ecole de Paris. Celle où il peint des nus à la peau laiteuse, aux contours finement dessinés au pinceau et dont les traits se fondent dans le blanc. Ses nus allongés sont une synthèse de l'art japonais et de l'art occidental, inspirés de l'"Olympia" de Manet, des odalisques de Titien ou d'Ingres, dans des tonalités quasi monochromes, mais dans des décors bien français comme ceux des toiles de Jouy, ou sur fond de papier peint aux coquelicots. A côté de la jeune femme dort toujours un petit chat, devenu comme une signature de Foujita.
 
Deux drôles de tableaux montrent l'intérieur de Foujita, peuplé d'objets typiquement français, en résonance, comme les toiles de Jouy, avec son amour pour la France : des assiettes à décor accrochées au mur, un napperon à carreaux rouges, des sabots, un accordéon et même un recueil des fables de La Fontaine. L'artiste aimait aller aux puces de Saint-Ouen et collectionnait tous ces objets. On en retrouvera plus tard dans "Je reviens de suite" (1956), où il a reconstitué la loge de sa concierge, un bazar inouï.
Foujita, "Lutteurs à Pékin", 1935, Masakichi Hirano Art Foundation
 (Fondation Foujita / Adagp, Paris, 2018)

Les couleurs des années 1930

Les toiles de la période suivante sont moins connues. En 1931, Foujita a des problèmes personnels et des soucis avec le fisc. Il quitte Paris avec sa nouvelle compagne, Madeleine Lequeux, pour un long voyage qui va le mener en Asie, au Brésil, en Argentine, au Mexique. Les couleurs vives qui étaient apparues dans ses derniers tableaux parisiens se généralisent. Il peint des scènes pleines de vie, des lutteurs chinois en grand, des clowns, une grand-mère japonaise et ses petits-enfants dans un décor luxuriant, deux prostituées à Rio de Janeiro qui contrastent fortement avec ses nus blancs par les couleurs, le maquillage, la présence.
 
Ses tableaux de la période de la Seconde Guerre mondiale, inédits en France, sont les plus étonnants. Conservés au Musée national d'art moderne de Tokyo, qui a obtenu un "dépôt permanent", ils sont en réalité propriété de la bibliothèque du Congrès américain, les Etats-Unis les ayant confisqués après la guerre. Ils n'ont commencé à être montrés au public qu'en 1995 et c'est la première fois qu'ils sont exposés à l'étranger.
Foujita, "Morts héroïques sur l'île d'Attu", 1943, The National Museum of Modern Art, Tokyo (dépôt permanent)
 (Fondation Foujita / Adagp, Paris, 2018)

Sombres et monumentaux tableaux de guerre

Pendant la guerre, Foujita est incorporé dans l'armée impériale japonaise comme peintre et doit réaliser des tableaux de commande. C'est l'armée qui définit les sujets et lui fournit toile, pinceaux et couleurs. Elle impose aussi les formats. Ce sont deux toiles monumentales qu'on découvre ici, des scènes sombres, dans les bruns.
 
L'une décrit l'offensive américaine contre les soldats japonais qui occupaient l'île d'Attu et qui furent presque tous tués ("Morts héroïques sur l'île d'Attu", 1943). Foujita imagine un corps à corps effroyable dans un amas humain hérissé de baïonnettes où on a du mal à distinguer les morts des vivants. L'autre tableau met en scène des civils, femmes et enfants, qui s'apprêtent à se suicider sur l'île de Saipan tombée aux mains des Américains.
 
Est-ce de l'art de propagande ? "Ce n'est pas comme les Soviétiques, comme les Allemands", pense Sophie Krebs, co-commissaire de l'exposition. "Ce qu'il fait est presque un plaidoyer contre la guerre. D'ailleurs on ne reconnait ni les Japonais ni les Américains", dans les tableaux de Foujita, souligne-t-elle. "Il va rechercher dans l'histoire occidentale, notamment dans la geste napoléonienne, tout ce qu'il a vu au Louvre", pour produire ces tableaux qui sont des œuvres d'imagination.
 
Dans le catalogue de l'exposition, Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l'art et professeure à l'Institut d'études politiques de Paris cite Géricault, Delacroix, Goya comme sources d'inspiration de ces œuvres et souligne leur atmosphère sombre et infernale.
Foujita, "Autoportrait", 1929, The National Museum of Modern Art, Tokyo
 (Fondation Foujita / Adagp, Paris, 2018)

Même les chats font la guerre

Plus anecdotique, on revient toujours aux chats, avec Foujita. Mais ce ne sont plus les créatures sensuelles qui dormaient près des nus ou sympathiques qui l'accompagnaient sur ses autoportraits. En 1940, avant de devoir regagner le Japon, il a peint en France une délirante "Bataille de chats" où une douzaine de félins, yeux hallucinés et gueule ouverte, sautent dans tous les sens.
 
Isolé au Japon où il fait l'objet de polémiques, Foujita quitte définitivement le Japon en 1949 et regagne la France après un séjour aux Etats-Unis. Il réalise des vues pittoresques de Paris, avec ses bistrots, ses loges de concierges, les quais de la Seine, ou des images d'enfance étranges. Pas vraiment ce qu'il a fait de mieux. Le kitsch prend le pas sur la grâce des toiles des années 1920.
 
Il demande la nationalité française et se convertit au catholicisme en grande pompe à la cathédrale de Reims en 1959. Installé à Villiers-le-Bâcle, un petit village de la vallée de Chevreuse où il s'isole et où il finira ses jours, il peint des scènes religieuses comme cette "Adoration" où il se représente à genoux devant la Vierge. La chapelle Notre-Dame-de-la-Paix à Reims, dont il conçoit l'architecture et la décoration, sera sa dernière réalisation.
Foujita, "Adoration, 1962-1963, musée d'Art moderne de la Ville de Paris / Roger-Viollet
 (Fondation Foujita / Adagp, Paris, 2018)

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