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Edgar Degas dialogue avec Paul Valéry au musée d'Orsay

En 1937, Paul Valéry publiait une livre d'art sur Edgar Degas, "Degas Danse Dessin", mariant textes du poète et gravures d'après des dessins de l'artiste. C'est le fil de cet ouvrage que suit le Musée d'Orsay pour une exposition qui nous montre l'importance centrale du dessin et du mouvement dans l'œuvre du peintre des danseuses, mort il y a cent ans.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Edgar Degas, "Danseuse espagnole, deuxième étude", Paris, musée d'Orsay, et "Epaules et bras drapés d'une figure de dos", Paris, musée d'Orsay
 (à gauche photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski - à droite photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Tony Querrec)

Paul Valéry (1871-1945) rencontre Edgar Degas (1834-1917) dans les années 1890 par des amis communs, parmi lesquels Stéphane Mallarmé et Julie Manet, la fille de Berthe Morisot. Le jeune poète fraîchement arrivé à Paris et le peintre âgé vont devenir amis malgré la différence d'âge. Valéry souhaite très vite écrire un ouvrage sur le peintre, notant des propos de celui-ci ou des idées que lui inspirent leurs conversations.
 
C'est finalement en 1937, près de 40 ans après leur rencontre, et après la mort de Degas, que Valéry publie "Degas Danse Dessin" avec le marchand d'art et éditeur Ambroise Vollard. L'édition de luxe tirée à 305 exemplaires numérotés, qui alterne textes et gravures d'après des dessins de Degas, est le fruit de huit ans de préparation. La danseuse Ida Rubinstein et Pablo Picasso comptent parmi les premiers acheteurs et le musée d'Orsay vient d'en acquérir un exemplaire.
 
Il ne s'agit pas d'une biographie de Degas mais d'une évocation fragmentaire et poétique du peintre et de son art, dont des pages courent le long des murs, à la fin de l'exposition du musée d'Orsay.

Edgar Degas, "Portrait de Giulia Bellelli, étude pour la famille Bellelli", entre 1858 et 1869, Paris, musée d'Orsay
 (Photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Tony Querrec)

Fou de dessin

Mais on commence par une évocation des deux hommes, avec des documents, comme ces cahiers de Paul Valéry, où l'on découvre qu'il était doué pour le dessin. Et des photographies : celles des belles mains du poète par Laure Albin Guillot. Et d'autres, faites par Edgar Degas lui-même (car le peintre a expérimenté avec passion la photographie en 1895-1896) : des autoportraits et la photo, magnifique, de Mallarmé et Renoir penchés l'un vers l'autre près d'une cheminée. Dans la glace posée dessus on aperçoit Degas et son appareil.
 
"Degas, fou de dessin", dit Valéry : l'artiste dessine abondamment et tout part de là, il travaille d'après les maîtres comme le lui a enseigné Ingres et chaque tableau est le résultat de nombreuses études. Pour représenter sur la toile "La Famille Bellelli", celle de sa sœur, il a multiplié les dessins des visages de ses nièces, de leurs bottines, du mouvement d'un tablier blanc.
 
Il dessine aussi des nus : "Degas, toute sa vie, cherche dans le Nu, observé sous toutes ses faces, dans une quantité incroyables de poses, et jusqu'en pleine action, le système unique de ligne qui  formule tels moment d'un corps avec la plus grande précision, mais aussi la plus grande généralité possible", écrit Paul Valéry.
Edgar Degas, "Quatre études d'une danseuse", 1878-79 - "Petite danseuse de quatorze ans", 1921-1931, fonte (fondeur Adrien-Aurélien Hébrard) "Danseuse se grattant le dos", entre 1873 et 1876 - Paris, musée d'Orsay
 (A gauche et à droite, photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Adrien Didierjean - Au centre, © Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt)

La danse

Degas, c'est bien sûr la danse et les danseuses. Outre le dessin, la sculpture lui a servi à constituer un répertoire de formes et de mouvements. Joliment mises en scène dans l'exposition, ses petites sculptures de danseuses courent en serpentant au centre de la salle consacrée à ce thème. Il ne s'agissait pas d'œuvres destinée à être montrées : on en a retrouvé 150, en cire ou en terre, dans son atelier à sa mort. Certaines ont alors été fondues.
 
La seule exposée de son vivant fut sa fameuse "Petite danseuse de quatorze ans", dont une version en bronze est au centre de l'exposition : montrée à l'exposition impressionniste de 1881, elle fit scandale en raison de son réalisme qui évoquait la réalité sordide de ces fillettes qui finissaient fréquemment dans la prostitution, comme Marie van Goethem, qui servit de modèle à Degas pour cette œuvre.
 
C'est souvent la réalité quotidienne des danseuses que nous montre Degas dans ses pastels et ses toiles : il les présente au repos, assises et papotant, nouant leurs chaussons, se grattant le dos. Mais aussi dans la magie des représentations, la lumière les éclairant par-dessous. Entre les deux, on remarquera le cadrage génial des "Danseuses montant un escalier" où le sol et le mur occupent une bonne partie de la toile. "Degas est l'un des rares peintres qui aient donné au sol son importance. Il a des planchers admirables", écrit Paul Valéry.
Edgar Degas, "Danseuses montant un escalier", entre 1886 et 1890, Paris, musée d'Orsay
 (Photo © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Stéphane Maréchalle)

L'art de la mimique

Le poète souligne aussi la "sensibilité pour la mimique" de Degas, la figure "toujours expressive", comme celle de la chanteuse de café-concert la bouche ouverte ou celle d'une repasseuse qui baille.
 
Comme la danse, les chevaux passionnaient Degas qui a aussi saisi leurs mouvements dans une série de petites sculptures exposées à côté de tirages contact d'un film de Nadar sur une danseuse et d'épreuves photomécaniques décomposant le galop d'un cheval par Eadweard Muybridge.
 
A la fin de sa vie, en 1915, Degas avait refusé d'être filmé, pour un moyen métrage que Sacha Guitry voulait réaliser sur les personnalités de son temps. C'est à son insu qu'ont été prises les seules images animées qu'on connait du vieux monsieur, marchant dans les rues de Paris. Clin d'oeil émouvant qui clôt l'exposition.
Edgar Degas, "Danseuses bleues", vers 1893, Paris, musée d'Orsay, don du cocteur et de Mme Albert Charpentier
 (Musée d’Orsay Dist. RMN- Grand Palais / Patrice Schmidt)

 
 

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