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Les rêves et la poésie de Joan Miró au Grand Palais

44 ans après l'exposition de 1974, le Grand Palais offre à Miró une grande rétrospective parisienne. De ses peintures de jeunesse en Catalogne aux grands "Bleus" de 1961, des céramiques aux "Constellations", des "paysages imaginaires" aux sculptures, on est convié à 70 ans de création d'un artiste-rêveur qui s'est renouvelé toute sa vie (jusqu'au 4 février 2019).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Joan Miró, à gauche"L'Oiseau migrateur", collection particulière, à droite "La Maison du palmier", 1918, Espagne, Madrid, Museo Nacional Centre de Arte Reina Sofia, 1998
 (A gauche © Successió Miró / Adagp, Paris 2018 Image courtesy Acquavella Galleries - A droite © Successió Miró / Adagp, Paris 2018 Photo Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía / Photographic Archives Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía)

"L'idée était de redécouvrir, de découvrir Miró dans toute son ampleur et ses 70 ans de création d'un homme qui a parlé peinture, dessin, céramique ou sculpture en inventant un monde que l'on ne connaissait pas, qui a ajouté la poésie à la peinture et créé un monde merveilleux qui n'est ni abstrait ni figuratif", explique Jean-Louis Prat, ex-directeur de la Fondation Maeght et commissaire de l'exposition, qui était un ami de l'artiste. La rétrospective du Grand Palais rassemble 150 œuvres, de 1916 à la mort de l'artiste en 1983.
 
Trois toiles étonnantes datées de 1916-1917 nous accueillent dans l'exposition. A l'époque, Joan Miró vit à Barcelone où il fréquente les milieux intellectuels après avoir fait une école d'art et découvert les avant-gardes. "Nord-Sud" porte le nom d'une revue française du même nom, c'est une nature morte aux couleurs vives à la fauve. Une autre nature morte, "La Rose", a des accents cézanniens, comme le "Portrait de Vicens Nubiola", qui fait aussi penser à Van Gogh.

P. Sorgues / I. Audin / M. Chekkoumy / L. Kulimoetoke :

Les détails de la terre catalane

Le jeune Miró se cherche et aborde toutes ces influences mais sans jamais adhérer. Il digère le cubisme, découpant les plans en facettes, basculant la perspective, multipliant les points de vue. A un moment, il se définit comme un "fauve catalan" mais il reste toujours en marge des courants artistiques.
 
Il opère un brusque changement à l'été 1918. La métamorphose est saisissante. Inspiré par sa terre catalane à laquelle il sera toujours fidèle, Miró se met à peindre des paysages pleins de détails infimes assez plans. De la ferme familiale de Mont-roig, près de Tarragone, sous un ciel bleu éclatant, il saisit la moindre herbe ou brindille, chaque tuile et chaque caillou ("La maison du palmier").
 
Dans son chef-d'œuvre de cette période dite "détailliste", "La Ferme" (1921), il introduit des tas d'objets, d'animaux, stylisés, s'attachant aux matières et aux textures. Avec ce tableau, Miró interroge "sans arrêt sur les choses les plus simples, que nous côtoyons, que nous percevons mais peut-être pas de la même manière, sur les gens qui cultivent la terre, sur le ciel, sur ce sol catalan qu'il aimait tant", commente Jean-Louis Prat.
Joan Miró, "Femme", 1934, pastel sur papier velours, collection particulière
 (Successió Miró / Adagp, Paris, 2018 Photo collection particulière / Peter Schälchli, Zürich)

La couleur des rêves

Au début des années 1920, il partage son temps entre la Catalogne et la rue Blomet à Paris, où il côtoie les surréalistes et participe à leur première exposition. Mais une fois de plus il refuse l'étiquette et l'invitation de ses amis qui le pressent de rejoindre leur mouvement.
 
Il invente un langage poétique où des figures étranges et des symboles, des insectes et des oiseaux fabuleux, des étoiles, des yeux, des lunes flottent dans de grands ciels. Il peut sembler loin de la figuration, la grande forme blanche de son "Cheval de cirque" (1927) évoque de très loin un cheval, et pourtant, on ne peut pas non plus parler d'abstraction.
 
La nuit, il dort, dit-il, mais quand il est éveillé, il rêve tout le temps. "Ceci est la couleur de mes rêves", a écrit Joan Miró en 1925 sur une toile toute blanche sous l'inscription "Photo" et un petit nuage bleu.
Joan Miró, "Le carnaval d'Arlequin", 1924-1925, Etats-Unis, Buffalo, Collection Albright-Knox Art Gallery, Room of Contemporary Art Fund, 1940
 (Successió Miró / Adagp, Paris 2018 Photo Albrigth-Knox Art Gallery, Buffalo / Brenda Bieger and Tom Loonan)

Peindre comme on respire

En 1927, Miró crée des "paysages imaginaires" aux couleurs saturées où un lièvre devient une créature fantastique, où un ciel peut être orange vif. Ces toiles sont dépouillées, à l'inverse des "Constellations" peintes entre 1939 et 1941 qui regorgent de signes et de figures.
 
"Miró demande toute notre attention, il ne faut pas le regarder de manière superficielle. C'est sans arrêt une découverte, dans un coin, en haut, à gauche, à droite", fait remarquer Jean-Louis Prat
 
"Peindre, c'est un besoin physique, comme respirer, boire, manger", dit Miró dans un film. "Il travaillait sans arrêt", confirme Jean-Louis Prat. "Il se mettait devant le tableau, il réfléchissait et quand il traçait un trait, il exprimait ce qu'il ressentait profondément."
 
Miró varie les techniques et les supports. Inquiet de la montée des fascismes, il peint en 1934 une série de grands pastels aux couleurs électriques et aux personnages monstrueux. En 1936, il fait aussi une expérience sur masonite (panneau de fibres agglomérée). "C'était invendable", selon Jean-Louis Prat. D'ailleurs, " Miró ne cherchait pas à vendre, au début, il a vécu difficilement".
Joan Miró, "La Ferme", 1921-1922, États-Unis, Washington National Gallery of Art, don de Mary Hemingway, 1987
 (Successió Miró / Adagp, Paris 2018 Photo National Gallery of Art, Washington)

Le pouvoir de la terre

En pleine Guerre d'Espagne Miró réalise une fresque pour le pavillon de la République espagnole à l'Exposition universelle de Paris en 1937. Une peinture monumentale de 7 mètres de haut représentant un paysan en révolte ("Le Faucheur"), le "Guernica" de Miró, qui sera détruite lors du démantèlement du pavillon. Elle est évoquée dans l'exposition grâce à des photographies. L'engagement anti-franquiste de Miró ne se démentira pas : en 1974, il réalisera trois grandes toiles ("L'Espoir du condamné à mort") en hommage à Salvador Puig Antich, anarchiste catalan, dernier prisonnier politique condamné à la mort par garrot par le régime.
 
Après la guerre, Miró s'intéresse à la céramique et travaille avec Josep Llorens i Artigas, un ami de jeunesse. Il trouve un pouvoir particulier à la terre, la même que celle qu'on foule tous les jours. Il aime le côté aléatoire des couleurs que donnent les émaux, qui peuvent varier et donner un résultat tout à fait inattendu, il aime aussi les accidents liés à la cuisson. Il réalise des vases décorés, des œufs géants, il modèle de grandes figures étranges.
 
Contrairement à Picasso, il ne crée que des céramiques uniques, il n'a pas produit d'édition de ses pièces. D'ailleurs, en général, Miró "ne redit jamais ou ne refait jamais ce qu'il a fait la veille", souligne Jean-Louis Prat.
Joan Miró, "Bleu II", 4 mars 1961 France, Paris Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, don de la Menil Foundation en mémoire de Jean de Menil, 1984
 (Successió Miró / Adagp, Paris 2018 Photo Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. Rmn- Grand Palais / Philippe Migeat)

Le maximum d'intensité avec le minimum de moyens

C'est après la guerre aussi qu'il crée des sculptures, des assemblages d'objets hétéroclites, à partir desquels il réalise des tirages en bronze. A partir d'un mannequin et un robinet, il imagine une "Jeune fille s'évadant" aux couleurs vives. Deux tabourets deviennent "Monsieur et Madame",  une planche à repasser, un  chapeau et une carapace de tortue sont une figure féminine baptisée "La caresse d'un oiseau".
 
Jusqu'à la fin il se renouvelle, il invente. On peut voir au Grand Palais les trois toiles monumentales de 1961, les "Bleus", merveilleuses dans leur dépouillement. "J'ai mis beaucoup de temps à les faire. Pas à les peindre mais à les méditer", disait Miró.
 
"J'éprouve le besoin d'atteindre le maximum d'intensité avec le minimum de moyens. C'est ce qui m'a amené à donner à ma peinture un caractère de plus en plus dépouillé", avait-il expliqué deux ans plus tôt.
 
A la fin de sa vie, Miró peint avec ses doigts, avec ses pieds, il fait couler la peinture blanche sur des fonds blancs monumentaux. Basquiat dix ans avant Basquiat, ose Jean-Louis Prat. La dernière œuvre de l'exposition, "Toile brûlée" est une toile en partie lacérée et trouée par le feu.
Joan Miró, "Peinture", vers 1973, Espagne, Palma de Majorque, Fundació Pilar i Joan Miró a Mallorca
 (Successió Miró / Adagp, Paris 2018 Arxiu Fotogràfic de la Fundació Pilar i Joan Miró a Mallorca / photo Joan Ramon & David Bonet)


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