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Les papiers découpés de Rodin exposés pour la première fois, à Paris

Rodin serait-il un précurseur des papiers collés, annonçant la modernité de Matisse ? Une nouvelle facette de l'œuvre du maître de la sculpture est à découvrir au Musée Rodin : on s'aperçoit que toute sa vie il a découpé des figures, variations de ses dessins qu'il collait, assemblait, avec une grande liberté (l'exposition est prolongée jusqu'au 7 avril 2019).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Auguste Rodin, à gauche, "Masque de Minos", vers 1883, crayon graphite, encre et gouache sur papier découpé collé sur papier vélin - A droite, "Nu de dos", le seul papier découpé exposé du vivant de l'artiste
 (musée Rodin, photo Jean de Calan)

Auguste Rodin (1840-1917), c'est un peu comme Picasso, son inventivité semble sans limites et on découvre toujours de nouveaux aspects de son œuvre. Au-delà de ses dessins, des œuvres à part entière qui ne sont pas des études préparatoires pour ses sculptures, Rodin a toujours découpé et collé des figures.
 


Le musée Rodin conserve quelque 7500 dessins. "J'ai une grande faiblesse pour ces petites feuilles de papier", disait Rodin. 250 sont présentés dans l'exposition, dont une petite centaine de papiers découpés. "J'ai exposé presque tous les papiers découpés, tous ceux que nous avons, et il n'y en a pratiquement pas en dehors (du musée)", souligne Sophie Biass-Fabiani, conservateur du patrimoine chargée des dessins au musée Rodin et commissaire de l'exposition.
Auguste Rodin, "Couple enlacé" ou "Etude pour Le Baiser", 1880-1889, crayon graphite, encre, gouache et collage sur papier découpé et collé sur papier vélin imprimé
 (agence photographique du musée Rodin, ph. J. Manoukian)

Des œuvres jamais exposées

"Rodin n'a jamais parlé de ses découpages, et aucun critique n'en a jamais parlé", raconte la commissaire. Il ne les a pas exposés et si certains ont été vus, ils n'ont pas été remarqués en tant que tels, parce qu'il a été "le premier à faire des découpages". Seules trois personnes ont possédé de telles œuvres, elles les ont obtenues hors commerce, car il s'agit d'une "pratique un peu intime, de choses qu'il ne vend pas et qu'il a gardées pour lui". Rodin a exposé un seul de ces papiers découpés de son vivant, en 1907, une œuvre signée de ses initiales sur le carton.
 
Au départ, c'est uniquement sur les figures aquarellées et découpées de la période 1900-1908, présentées au cœur de l'exposition, que Sophie Biass-Fabiani pensait travailler. Mais en explorant les collections du musée elle a fait de nombreuses découvertes antérieures à ce travail qui montrent qu'il s'agit d'une pratique remontant au début de sa carrière. Les premiers collages ne sont pas toujours faciles à déceler car ils sont réalisés avec du papier très fin : "Il faut avoir l'œil averti et obsédé", s'amuse-t-elle.
Auguste Rodin, "Femme nue agenouillée de face", crayon graphite et aquarelle sur papier vélin découpé
 (musée Rodin, photo Jean de Calan)

Rodin a découpé toute sa vie

Le premier papier découpé de l'exposition, un berger antique, a été réalisé alors que Rodin était encore étudiant. "C'est anecdotique mais on s'aperçoit que, déjà, dans ses années de formation, il commence" à coller des papiers découpés. Et vers 1870, il fait de petits paysages orientalistes avec trois feuilles différentes. 
 
En 1890, au moment de la commande de la "Porte de l'enfer", Rodin réalise une série de "Masques", ou "dessins noirs", au crayon, à l'encre et à la gouache blanche, collés sur des feuilles de papier. 142 de ces dessins sont publiés en 1897 par Maurice Fenaille, "avec un procédé de fac-similé entièrement contrôlé par Rodin". Mais la technique du collage n'a pas été remarquée à l'époque. Les fac-similé sont exposés à côté des originaux.
 
Le thème du "Baiser", fréquent dans la sculpture de Rodin, a été peu représenté en dessin mais a fait l'objet d'un petit papier découpé et collé, signé par Rodin, la dernière acquisition du musée. Il montre à nouveau l'importance de cette technique dans la pratique de l'artiste.
Auguste Rodin, "Deux femmes nues de profil dont l'une est agenouillée", crayon graphite et aquarelle sur deux papiers découpées et collés sur papier vélin
 (musée Rodin, photo Jean de Calan)

Des figures aquarellées et découpées

Le cœur de l'exposition, donc, est constitué de 80-90 figures découpées, qui "ressemblent aux dessins de Rodin qu'on connaiî", souligne Sophie Biass-Fabiani. "Certains ont déjà été exposés mais on n'a jamais tout montré, ni jamais réalisé à quel point c'était une démarche importante. Découper dix figures ou en découper plus d'une centaine c'est fondamentalement différent, ça montre un certain intérêt et ça permet de voir la démarche d'une autre façon", fait-elle remarquer.
 
La plupart des papiers découpés de Rodin se présentaient dans les collections sous forme de figures volantes. Il y a huit exceptions de figures découpées collées sur des feuilles, dont elles débordent parfois.
 
Rodin dessine au crayon, puis repasse à l'aquarelle, revenant parfois au crayon. Les découpages de ces années-là sont réalisés sur des papiers épais déjà aquarellés, ce qui semble indiquer qu'il avait prévu de les découper. L'exposition montre des séries de dessins, autour d'une même figure, découpée ou non.
Auguste Rodin, "Deux femmes enlacées", à gauche, 1912, crayon graphite sur papier calque, à droite, crayon graphite et aquarelle sur deux papiers découpés et collés sur papier vélin
 (A droite et à gauche © musée Rodin, ph. Jean de Calan)

Autour d'une même figure

Rodin penche la figure, la renverse, il est parfois difficile de savoir dans quel sens il faut l'exposer. Il changeait parfois lui-même d'avis, en la voyant dans l'autre sens : "Le découpage l'isole de tout fond, ce qui lui permet de faire ce qu'il veut", souligne la commissaire.
 
Certaines figures ont été découpées pour être assemblées, comme nous le montrent des dessins. "On a un entrelacs, avec des positions qui ne sont pas réalistes", fait remarquer Sophie Biass-Fabiani.
 
Isolées ou en couples, les figures volantes ont été collées pour l'exposition sur des feuilles blanches. Ici on a un dessin postérieur pour reconstituer l'imbrication de deux personnages, là on a un dessin préliminaire qui permet de choisir le sens de la figure. "J'ai essayé de redonner un sens qui était tangible par rapport au dessin préliminaire, sans me donner la liberté de Rodin qui les bascule, parce que je ne suis pas Rodin, je les ai mises sur un format pas trop différent et je les ai mises au milieu, comme il l'a fait. J'ai choisi un papier qui n'est pas trop blanc, qui pourrait correspondre à la couleur du papier qu'il utilisait, pas trop blanc sinon ça jure".
Auguste Rodin, "Homme nu agenouillé et renversé en arrière"
 (musée Rodin, photo J. de Calan)

Des positions non académiques

On a des figures de danseuses, des positions non académiques, car c'est ce qui intéressait Rodin, des postures originales, comme cette femme un bras en avant pour lequel on a deux découpages, des figures vues de haut, "une vision de sculpteur qui doit les regarder dans tous les sens".
 
Rodin varie à l'infini, on a trois fois le même dessin avec des colorations différentes. Ou bien il assemble une même figure avec une série d'autres.
 
L'exposition présente aussi d'autres raretés, comme des photographies de ses sculptures jamais exposées : il les a détachées du fond d'une autre façon. Pas en les découpant, cette fois, mais en passant autour de la gouache et de l'encre noire. Un "Penseur", dont le socle a été ainsi gommé, est littéralement suspendu en l'air. Sophie Biass Fabiani y voit "un parallèle de démarche plastique".
 
On a aussi des corps de couleur claire qui émergent d'un fond coloré, rouge ou bleu. Rodin les fait surgir, flotter, les présente dans des positions inattendues.

Après ses dessins, ses danseuses et notamment ses assemblages d'éléments de base identiques pour traduire des attitudes différentes, on voit ici encore que Rodin fut bien plus qu'un grand sculpteur : un grand artiste et un grand inventeur de modes d'expression.

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