Le festival de l'Orangerie de Sceaux lance brillamment la saison musicale d'Ile-de-France

L'ambiance de l'orangerie C) Marie-Emilie Coste

C'est donc la 48e édition du festival de l'Orangerie de Sceaux, et qui va durer plus d'un mois. Son fondateur, Alfred Loewenguth, était, rappelons-le aux plus jeunes, le fondateur et premier violon d'un des meilleurs quatuors à cordes français. Ceci suffit à dire que le festival de Sceaux est placé sous le signe de la musique de chambre. Alliant talents confirmés et jeunes pousses, comme il se doit. Dans un savant mélange dont, sous la houlette de Jacqueline Loewenguth, Jean-François Heisser est désormais l'ordonnateur, comme directeur musical.

UNE TRISTE ANNULATION

Ce festival commence, de tradition, le 15 août. Je m'y étais préparé, pour entendre Marie-Josèphe Jude et le quatuor Arod jouer Beethoven, Schumann et le si beau "Quintette" de César Franck. Patatras! Une suspicion d'orage avait fermé deux heures avant le domaine de Sceaux. C'est la première fois que cela arrive, m'a-t-on dit, au nom du fameux principe de précaution (la foudre venait de frapper des adolescents dans la Vienne), mais, à ce titre, on redoute, sans parler de Sceaux dans les prochaines semaines, ce qu'il adviendra des multiples concerts d'été au parc floral de Vincennes, à Bagatelle et en d'autres lieux. Et c'est aussi mettre en péril l'économie de festivals fragiles par essence.

Ce dimanche un soleil radieux brillait dans un ciel pur.

Musicien 1: Raphaël Pidoux D.R.

Musicien 1: Raphaël Pidoux D.R.

UNE ORANGERIE... DUCALE

Le petit château de Sceaux actuel, qui trône au milieu du grand parc, date du Second Empire. Il ne reste du prestigieux domaine du duc du Maine, fils de la Montespan et du Roi-Soleil, que l'Orangerie, due à Perrault, le frère de l'auteur des "Contes", comme tous les autres bâtiments. Une plaque rappelle que, le 4 décembre 1700, Philippe, duc d'Anjou, vint faire ses adieux à son grand-père, le roi, à son père, le Grand Dauphin, à son cousin Maine et à toute la cour, avant de partir pour l'Espagne pour y être sacré roi lui-même sous le nom de Philippe V. C'est dire que nous sommes dans un lieu chargé d'histoire, avec la simplicité à la fois aristocratique et ancillaire des orangeries de cour, rehaussée par la présence de statues antiques musculeuses qui rythment la série des colonnes (je n'ai pas vérifié si c'était du marbre ou des copies)

PIDOUX ET LES JEUNES GENS

Je me suis donc reporté sur la mystérieuse "Folle journée Camerata" dans un programme bien tranquille, Beethoven et Mozart. Le seul nom connu, celui de Raphaël Pidoux, fils de son père Roland (un des meilleurs professeurs des violoncellistes français au CNSM) et lui-même par ailleurs l'excellent violoncelliste de l'excellent Trio Wanderer.

Musicien 2: Nathan Mierdl D.R.

Musicien 2: Nathan Mierdl D.R.

Eh! bien, c'était très bien.

En fait, la "Folle journée Camerata" a à voir avec "La folle journée de Nantes" dont je vous entretiens tous les ans. Il s'agit (encore une idée, semble-t-il, du diabolique René Martin) de former un ensemble de chambre avec de jeunes musiciens sous l'autorité d'un plus ancien (Pidoux cette année, Claire Désert  et Emmanuel Strosser l'an dernier), à charge pour eux de proposer un programme exigeant qui "tournera"dans de fameux festivals d'Europe.

UN TRIO A CORDES RARE

Nous avons donc vu surgir une tête brune, une tête blonde et une tête argentée (celle de Raphaël Pidoux); la tête blonde aux beaux cheveux d'or appartenait à l'altiste Violaine Despeyroux, la tête brune à Nathan Mierdl, jeune allemand surdoué de Francfort, 19 ans et vraiment un nom à retenir...

Il s'agissait du rare "5e Trio à cordes" de Beethoven...

Musicienne 3: Violaine Despeyroux D.R.

Musicienne 3: Violaine Despeyroux D.R.

Dont les "Trios avec piano" sont souvent des chefs-d'oeuvre. Les trios à cordes datent de sa jeunesse et de son installation à Vienne. Travaux alimentaires, pour des amateurs pas trop doués, mais que Beethoven respecte infiniment. Ce dernier "Trio" (Beethoven ne reviendra plus jamais à ce genre, il est vrai rare) est-il le plus ambitieux? 25 minutes où nos deux jeunes prennent leur marque: son un peu âpre au début, et puis chacun trouve sa place, la jeune altiste, fine musicienne, un peu plus difficilement.

Le violoncelle est plus en demi-teinte, à faire le continuo (et l'on admire la sorte de sacrifice de Pidoux dans cette affaire!) Dans les échanges galants du premier mouvement, c'est comme si Mozart avait cinquante ans et qu'il composât toujours. L' "Adagio con espressione" est un vrai dialogue (trialogue plutôt!) conduit d'abord par le violon et l'alto. Le "Trio" est déjà du pur Beethoven: un thème qui, ailleurs, paraîtrait joyeux et conquérant mais qui, écrit ainsi, est plein d'une âpreté nerveuse. Le violoniste a la part belle du "Presto" et Mierdl s'y déboutonne...

Musicienne 4: Valeria Curti

Musicienne 4: Valeria Curti D.R.

 

UNE SONATE POUR BASSON ENCORE PLUS RARE

Puis Pidoux revient. Avec une jeune femme qui ressemble beaucoup à la première, blonde et plus souriante encore, mais elle tient un autre instrument qui est un basson: Mozart (qui lui avait déjà écrit un concerto) a composé cette bizarre "Sonate pour basson et violoncelle", brève (10 minutes) et qui n'est pas une transcription. Mozart a 19 ans. Valeria Curti sans doute un peu plus, mais à peine. Au début ces deux instruments graves donnent l'impression de deux voitures qui ont un peu de mal à avancer. Mais Wolfgang ne ménage pas la soliste avec, souvent, un thème legato qui est repris en notes piquées, et il y  faut du souffle et de l'endurance.

On fera un reproche à Curti, qui devrait mener la ronde. Sans doute intimidée, elle laisse un peu la tête du duo à Pidoux qui n'en demande pas tant. Mais c'est ainsi. Péché de jeunesse!

LA REUNION DES SEPT

Les voici enfin tous les sept après l'entracte! Il y en a encore trois qu'on ne connaît pas: Charlotte Henry, une bien jolie rousse avec sa grosse contrebasse (et ça l'amuse beaucoup) Un grand garçon blond, "le benjamin" (nous dit Pidoux qui précise qu'ils sont tous, ou ont été, élèves à Paris et en France), donc 19 ans à peine, le corniste Gabriel Dambricourt. Et un petit clarinettiste italien, au visage rond et souriant, Filippo-Riccardo Biuso. C'est le "Septuor" de Beethoven.

Musicienne 5: Charlotte Henry C) Gilles Henry

Musicienne 5: Charlotte Henry C) Gilles Henry

Et ce sont quarante-cinq minutes magnifiques. D'abord par l'inspiration beethovénienne, qui multiplie les formes rythmiques (six mouvements au total, de l' "Andante avec variations" au "Presto"), les passations de pouvoir (chacun a sa partie quasi solo), inventant un genre qui s'apparente à la symphonie de chambre mais plus vraiment à la sérénade si populaire alors (chez Mozart), un genre qui n'aura que peu de successeurs (sinon, vraiment, Schubert avec son octuor et sa durée d'une heure (!) comme si Franz s'était dit: "Je vais surpasser Ludwig, en effectif et en temps")

UNE OEUVRE SUPERBE JOUEE AVEC TALENT

Musicien 6: Filippo-Riccardo Biuso D.R.

Musicien 6: Filippo-Riccardo Biuso D.R.

Ce "Septuor" est plutôt d'ailleurs pour quatuor et trio. Les uns répondent aux autres, les cordes s'expriment, les vents les relancent. Peu à peu deux se détachent: un violon de plus en plus présent, et Mierdl y fait montre d'une autorité remarquable en "primus inter pares" avec une musicalité sans défaut (sa "cadence" du dernier mouvement qui rappelle celle du concerto futur); et la clarinette au jeu très fin, très élégant, du jeune Biuso. Mais Dambricourt, un peu oublié au début par Beethoven, va avoir quelques interventions spectaculaires. Et Pidoux lui aussi: à un moment son violoncelle se déchaîne sans raison, comme si Beethoven se souvenait brusquement qu'il avait un interprète ombrageux à satisfaire! Aucune des trois dames ne démérite, la contrebasse est évidemment, comme trop souvent, réduite au soutien rythmique, l'altiste manque parfois de justesse. Curti a de jolies interventions, mais souvent avec ses deux camarades.

Musicien 7: Gabriel Dambricourt D.R.

Musicien 7: Gabriel Dambricourt D.R.

ET DES NOMS A RETENIR

On sort très content, il fait toujours aussi beau, on a pris son petit crayon pour noter le nom de tous ces jeunes gens. Cohérence, sens de la musique "ensemble", ardeur et fougue, élégance du son. Et dans l'affaire on n'oubliera pas "professeur Pidoux junior" qui aura, sans jamais se mettre en avant, été un maître-d'oeuvre occulte et de haute volée pour ce petit groupe qu'il va promener, si l'on a bien compris, en d'autres lieux et avec le même bonheur.

"Folle journée Camerata", direction et violoncelle Raphaël Pidoux: Mozart (Sonate pour basson et violoncelle). Beethoven (Trio à cordes n°5. Septuor pour cordes et vents opus 20) Orangerie du château de Sceaux (92330) le 20 août.

Le festival de l'Orangerie se prolonge chaque vendredi (à 18 heures 30), samedi et dimanche (à 17 heures 30) jusqu'au 17 septembre. A entendre: François-Frédéric Guy, le Quatuor Diotima, Michel Portal, Jérôme Ducros, Jean-Philippe Collard, Jean-François Heisser, Marc Coppey, le Trio George Sand avec Didier Sandre en récitant, et bien d'autres...