Des "Noces de Figaro" de Mozart exquises et anglaises

La comtesse (K. MacKinnon), Suzanne (J. France), Chérubin (M. Fontanals-Simmons) C) Mark Douet

Délicieuse surprise l'autre soir au Théâtre des Champs-Elysées. Non pas "Les noces de Figaro", le chef-d'oeuvre de Mozart, mais la manière dont il nous a été proposé: par de jeunes chanteurs anglais rompus à l'esprit de troupe, sous la direction de Douglas Boyd, le titulaire de l'orchestre de chambre de Paris et qui est aussi le directeur artistique du Garsington Opera.

 

C'est au départ une belle histoire "typically british". Il y a presque trente ans Rosalind et Leonard Ingrams fondent un festival d'opéra dans leur manoir de Garsington près d'Oxford. En 2011, ledit festival émigre à Wormsley, célèbre pour son... terrain de cricket, mais en conservant son nom d'origine. On arrive en fin d'après-midi, on boit le thé, on profite d'un jardin clos qui date du XVIIIe siècle et à l'entracte, d'une durée suffisante, on pique-nique à l'éclairage des chandeliers ou de la lune. Il y a même un vrai restaurant si le temps est incertain, ce qui peut arriver en Angleterre!

UN OPERA A LA CAMPAGNE

Cela ne vous rappelle rien? Glyndebourne, évidemment, fondé en 1934, inaugurant cette tradition particulière à nos voisins d'outre-Manche de "country-house Operas" ("Opéras de maison de campagne"). On se souvient des merveilleuses photos d'Henri Cartier-Bresson, d'une élégance si formelle, puisqu'on s'habillait alors (est-ce toujours aussi vrai?) et que  les principaux spectateurs étaient issus de la "gentry". Garsington est donc le petit frère de Glyndebourne qui perdure toujours après 83 ans de vie. Sinon que Garsington dure moins longtemps (juin-juillet) alors que Glyndebourne s'étend de mai à août! Pour le reste, cinq productions dans les deux cas.

Jennifer France (Suzanne), Duncan Rock (Le comte), Marta Fontanals-Simmons (Chérubin) C) Mark Douet

Jennifer France (Suzanne), Duncan Rock (Le comte), Marta Fontanals-Simmons (Chérubin) C) Mark Douet

DE RAVISSANTS COSTUMES ET QUELQUES ACCESSOIRES

Nous avons donc profité d'une respiration entre les représentations de juin et celles de juillet pour découvrir cette délicieuse production, très joliment mise en espace par Deborah Cohen d'après la mise en scène de John Cox. Cette mise en scène, vous en découvrirez dans cet article quelques photos. Aucun doute, on ne cherche pas midi à quatorze heures, on construit de sobres décors "d'époque" (panneaux coulissants peints d'ocre ou de gris perle, quelques linges pendus, quelques fauteuils) et les chanteurs portent de ravissants costumes totalement 1786. Evidemment nous n'avons pas vu, l'autre jour, exactement cela.

Mais habituellement, dans les versions de concert, les chanteurs, habillés par eux-mêmes (ou parfois, pour les femmes, par telle maison célèbre), sont derrière un lutrin à pousser leur air, figés comme des plantes. Cela permet, bien entendu (on se console comme on peut)  de se concentrer sur la musique. Ici, il a suffi de quelques accessoires, une table basse, un chapeau, des chaises, un châle, un fauteuil, un éventail, pour nous donner l'essence même de ce qu'on voit à Garsington. Almaviva est en robe de chambre d'intérieur, sa femme en déshabillé. A l'acte 2 ils reviennent d'une soirée, il arrive dans un superbe smoking, elle dans une robe longue en faille de soie. Les autres, conformément à leur rangs, sont plus classiques, Figaro en veste mais Suzanne en soubrette, avec une direction d'acteurs aux petits oignons. Et pour cause! Ils ont l'oeuvre dans les jambes, ils viennent de la jouer, ils vont y retourner, que dis-je, ils y sont en ce moment!

BOYD, CHEF ENERGIQUE

Douglas Boyd entame l'ouverture de manière violente, presque à la manière de "Don Giovanni", on sent, en cette année 1786, y gronder déjà la Révolution, et l'on redécouvrira, à l'aune de cette nervosité de l'orchestre, combien Lorenzo da Ponte, le librettiste de Mozart, ne cherche nullement à adoucir la pièce de Beaumarchais. Boyd accentue les attaques, les notes de passage, bouscule les accords. Les moments poétiques sont un peu chahutés, l'orchestre suit, avec des cordes qui ont vraiment progressé mais des cuivres un peu épais. Par la suite on n'aura que des compliments à faire au chef, qui finira sur les rotules, après avoir constamment joué l'ardeur, la dynamique, imposant à l'orchestre (de fort bon niveau malgré des cors... dérapants) et aux solistes l'esprit même du sous-titre de ces "Noces": "La folle journée"...

La comtesse dans ses tableaux (Kirsten MacKinnon) C) Mark Douet

La comtesse dans ses tableaux (Kirsten MacKinnon) C) Mark Douet

FIGARO ET SUZANNE, BEAUX ET BONS COMEDIENS

Esprit de troupe des solistes, où l'on n'observe aucun maillon faible, ce qui n'est pas si fréquent. Au point que tous les citer permettra de mémoriser leurs noms, ce qu'ils méritent mille fois. A commencer par le Figaro de Joshua Bloom, magnifique baryton (donc des graves un peu sourds! ) qui fait plus italien que nature, et magnifique comédien: son fameux "Se vuol ballare" est un modèle, superbement sonnant, avec de glorieuses notes hautes... de ténor. Jennifer France est une exquise Suzanne, à la voix pas très charnue mais à la musicalité rayonnante, elle aussi délicieuse comédienne et qui, par sa présence, nous rappelle que c'est Suzanne qui tient tous les fils de cette histoire à rebondissement.

ALMAVIVA EN PRINCE HARRY, LA COMTESSE ARISTO LASSEE

Remarquable couple comte-comtesse: Duncan Rock ressemble au prince Harry, hauteur aristocratique comprise, il fait d'Almaviva le jeune frère de Don Juan, avec son élégance un peu rude, sa prestance un peu brutale et sa beauté sportive, exemplaire lui aussi de timbre et de projection. Rendant encore plus sensible la lassitude en demi-teinte de la comtesse de Kirsten MacKinnon, immense canadienne, à la voix charnue aux rares couleurs sombres, presque trop large pour le "Porgi amor" (mais il faut se chauffer!) mais que le duo de la lettre avec Suzanne ("Canzonetta sull'aria") est beau et musical, que leurs deux voix s'harmonisent bien!

Charmant Chérubin de Marta Fontanals-Simmons dont on a évidemment du mal à imaginer la nature garçonnière avec cette longue frange blonde et ses grands yeux, même affublée d'une salopette! La musicalité est exemplaire chez Alison Rose-Barberine qu'on aimerait réentendre. Rien à dire du "trio infernal": Stephen Richardson, basse sonore en Bartolo, Timothy Robinson, Basile langue de p... vipère à tendance gay; la Marceline de Janis Kelly qui réussit même à faire un atout de son soprano aux aigus tremblés, et très amusante comédienne (tout le passage où Figaro découvre que celle qui veut l'épouser est en fait... sa propre mère est très vif et très drôle)

Figaro (Joshua Bloom) et sa Suzanne (Jennifer France) C) Mark Douet

Figaro (Joshua Bloom) et sa Suzanne (Jennifer France) C) Mark Douet

A TRES BIENTÔT, GARSINGTON!

Tous ces jeunes chanteurs se sont vus proposer le tremplin de Garsington, on espère qu'il les propulsera loin. Je suis plus réservé sur le choeur: il m'a paru manquer d'éclat, chantant plutôt les grands-prêtres de Sarastro que des paysans faisant la noce. Un détail, dans cet opéra de solistes. L'on espère en tout cas qu'à défaut de Glyndebourne, dont on semble rarement voir les productions sous nos latitudes, on ait de nouveau des échos de Garsington. Messieurs les Anglais (et mesdames), n'hésitez pas à venir tirer chez nous quelques salves de Mozart (ou d'un autre) quand vous aurez quelques jours de liberté, nous sommes même prêts à aller pique-niquer avec vous sur les quais de Seine, et à vos conditions (ça, c'est peut-être risqué!)

"Les noces de Figaro" de Mozart, direction musicale Douglas Boyd, conception scénique de Deborah Cohen d'après la mise en scène de John Cox, production du Garsington Opera, Théâtre des Champs-Elysées le 27 juin.

Ces "Noces de Figaro" sont encore représentées au Garsington Festival à Wormsley (Buckinghamshire, Angleterre) les 9, 11, 14 et 16 juillet