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Visite exceptionnelle de la mosaïque de l'époque romaine découverte à Uzès

À l’occasion de la construction d'un internat à Uzès dans le Gard, les archéologues de l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives) ont découvert une mosaïque exceptionnelle datant du Ier siècle avant notre ère. Pendant deux jours, le public était invité à visiter le site, et ses trésors, avant que la mosaïque ne soit déposée pour étude et restauration. Visite.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Mosaïque du Ier siècle découverte à Uzès, Gard
 (P. H.)

Samedi 8 avril, en début d’après-midi, sous un soleil estival, se presse une foule aux abords du chantier de fouilles archéologiques situé au point culminant de la ville d'Uzès, dans le Gard. Les visiteurs patientent devant les portes du chantier de construction par la région Occitanie d'un internat pour les deux lycées de la ville, Gide et Guynemer. Le site, 4000 m2, abritait autrefois la gendarmerie, construite en 1905.

Les visiteurs sont venus nombreux pour admirer la mosaïque romaine découverte à Uzès
 (Ph. H.)
Ils sont venus nombreux, car ils savent que l'occasion d'admirer sur le site d'origine les magnifiques mosaïques du Ier siècle avant notre ère, découvertes sur le chantier, ne se présentera plus. Elles seront déposées dans les jours qui viennent pour être étudiées et restaurées, et ne reviendront certainement pas sur le site, où le chantier de l'internat commencera une fois le travail des archéologues terminé.

On leur distribue un ticket, avec une heure de visite. "Revenez un quart d’heure avant le début de la visite." À 14H00, les tickets sont déjà distribués pour la visite de 16H15. "Ce matin c’était encore pire. Il y avait déjà la queue à 8H00 du matin", explique la jeune femme, archéologue à L’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives), qui accueille le public pendant ces deux jours de visite. 

Reportage : D. Moine, L. Thelu

La découverte d'un site majeur

Tout a commencé en 2013, lorsque les archéologues de l’INRAP sondent le terrain du chantier, une procédure obligatoire sur tous les sites dont on présume qu’ils pourraient renfermer des vestiges archéologiques (Loi 2001 relative à l'archéologie préventive). La procédure légale est la suivante : les archéologues de l’INRAP font des sondages sur le terrain du chantier, des tranchées sur 10% de la surface, et s’ils découvrent des vestiges, ils lancent un chantier de fouilles, sur tout ou partie du terrain. C’est ce que l’on appelle "l’archéologie préventive".

À Uzès, le diagnostic est indiscutable. "Les premiers sondages ont été très positifs. Partout où on a creusé, on a trouvé quelque chose. L'état a donc décidé de lancer une fouille sur la totalité du terrain, car il s'agissait  manifestement d'un site majeur", explique Ghislain Vincent, archéologue de l'INRAP, qui travaille sur le chantier, et qui aujourd'hui, comme ses collègues, accueille les visiteurs.
Ghislain Vincent, archéologue de l'INRAP, accueille le public sur le site d'Uzès
 (Ph. H.)
Il a fallu attendre octobre 2016 pour que le chantier de fouilles démarre. "Notre travail a pour objectif la sauvegarde du patrimoine. On procède par couches, et par zones. Ce qui est plus profond correspond à ce qui plus ancien. Paradoxalement, nous détruisons au fur et à mesure que nous fouillons. C'est comme ça : l'archéologue détruit son sujet d'étude. Mais nous sauvons le patrimoine par l'étude. Nous faisons des plans, des photographies, des enregistrements et avec toutes les informations collectées, nous faisons un rapport, une synthèse, que nous pouvons ensuite partager avec le public", explique Ghislain Vincent. 

Deux périodes d'occupation du site

Ici, les découvertes ont dépassé toutes les espérances des archéologues. Dès les premières explorations, ils découvrent un site exceptionnel, qui dévoile la présence d'une première ville, construite au Ier siècle avant JC. "C'est l'époque de la République romaine, qui correspond aussi à celle où les Romains sont arrivés dans la province", explique l'archéologue. Il montre aux visiteurs les vestiges de cette ville antique : des planchers en béton, des voies, des murs d'enceinte d'habitations, des canalisations, et même une fontaine et une citerne pour alimenter le quartier en eau. L'hypothèse est la présence sur ce site d'une élite d'Uzétiens dans une région hellénisée et romanisée.
Vestiges de la fontaine qui alimentait en eau le quartier d'Ucetia
 (Ph. H.)
"Quand les Romains sont arrivés ici en 118 avant JC, les Gaulois étaient hellénisés et romanisés depuis le IVe siècle avant JC. Les élites parlaient grec, il y avait beaucoup d'échanges commerciaux dans toute la région méditerranéenne. Nous avons trouvé des amphores à vin provenant de la région de Naples, mais aussi des céramiques fabriquées en Afrique du Nord".

Ucetia, délaissée pendant plusieurs siècles

"Ensuite, on suppose que cette ville a été peu à peu abandonnée : entre 100 et 120 de notre ère. On remarque des murs effondrés, des dépotoirs sur l'espace public", raconte Ghislain Vincent. La ville reprendra vie avec le premier évêché, au Ve siècle. Il s'agit là d'une "deuxième couche de vestiges". "Ce sont les céramiques, les objets comme les épingles, les fibules, la monnaie, qui nous permettent de dater ces différentes périodes, en fonction de la forme des objets, de la fabrication, des matériaux utilisés, de leur provenance", explique l'archéologue.

"Les raisons pour lesquelles le site a été abandonné entre ces deux périodes est probablement la conséquence d'une réorganisation administrative de la région par les autorités romaines. À l'époque dans l'organisation romaine, les villes avaient des statuts différents. On trouvait par ordre d'importance, les cités pérégrines, latines et romaines. Dans cette régions, plusieurs cités avaient le statut de ville latine, c'est à dire des ville d'importance moyenne, comme Ucetia, Nïmes, ou Arles. Puis à la fin du premier siècle de notre ère, les autorités romaines abandonnent un certain nombre de cités au profit d'autres. Ce serait le cas pour Ucetia au profit de Nîmes. Les élites  et leur clientèle rejoignent alors Nîmes, ce qui expliquerait l'abandon de ce quartier", détaille Ghislain Vincent. 
Zone en cours de fouille sur le site archéologique d'Uzès
 (P. H.)
La deuxième occupation du quartier dure deux siècles, entre le Ve et le VIIe siècle, puis il est à nouveau abandonné, pour des raisons qui restent mystérieuses. "Peut-être des guerres, ou des raisons économiques. De toutes façons,  on est alors entrés dans le Moyen Âge, une période de repli sur soi, où les échanges commerciaux et culturels disparaissent complètement", poursuit Ghislain Vincent.

La mosaïque : une œuvre d'art exceptionnelle, de style hellénistique

L'archéologue invite alors les visiteurs à découvrir la mosaïque, située de l'autre côté de l'ancienne gendarmerie, sur la zone 1 des fouilles. "On est en présence d'un pavement exceptionnel : 60 m2 entièrement recouvert de mosaïque. C'est une œuvre d'art importante, dans un état de conservation exceptionnelle, avec des décors de style hellénistique, on peut en reconnaître les motifs géométriques. En revanche, la présence des animaux est plus étonnante", souligne l'archéologue. La mosaïque est composée de quatre couleurs, blanc, noir, rouge et orange. Il ne s'agit pas de céramiques mais de pierres, des grès pour les rouges et orange, et des calcaires pour les noires et blanches.

Cette mosaïque était le sol des pièces d'une villa, qui ouvrait sur un jardin d'agrément à travers un portique (colonnes de six mètres de hauteur). Ce que les archéologues ne savent pas, c'est s'il s'agissait d'une villa privée ou d'un bâtiment public.
La mosaïque d'Uzès sera déposée pour être étudiée et restaurée
"Ce que nous avons découvert, c'est l'inscription sur cette mosaïque d'un nom : Lucius Cornelius, écrit en grec, qui était un général romain. Ce personnage important serait venu à Uzès en 103 avant JC, pour défendre la ville contre les attaques des Germains. Cette signature est un argument de plus qui confirme l'ancienneté du pavement".

"Quand nous avons fait cette découverte, je n'en ai pas dormi pendant trois jours", confie Ghislain Vincent, des étoiles dans les yeux. Ces découvertes documentent pour la première fois la ville à l'époque romaine, connue jusqu'ici uniquement par la mention du nom romain de la ville, "Ucetia", sur une stèle retrouvée à Nîmes. "Et nous ne sommes sans doute pas au bout de nos découvertes", conclut l'archéologue, large sourire. Un certain nombre d'éléments collectés sur le chantier seront conservés : oeuvres d'art (mosaïques, sculptures, colonnes, céramiques...) qui rejoindront les musées.

 La mosaïque devrait revenir à Uzès après restauration

La révélation au public, très récente, de la découverte de ce trésor archéologique a suscité l'émotion à Uzès. Une pétition a été lancée pour que la mosaïque reste sur le site. Certains auraient aimé que la mosaïque reste sur le site d'origine. "Conserver les vestiges sur site n'est pas forcément la bonne solution", explique l'archéologue, qui ajoute ne pas souhaiter entrer dans la polémique.

"Mais pour des raisons de conservation, et aussi parce que le principe de l'archéologie préventive est justement de concilier conservation et aménagement du territoire. C'est ce que prévoit la loi de relative à l'archéologie préventive de 2001 : permettre d'étudier les sites découverts au cours de chantiers publics ou privés, sans entraver les projets d'aménagements", explique l'archéologue. "À la suite d'un chantier comme celui-ci, on peut sauvegarder ce patrimoine en archivant toutes les informations collectées, en conservant les vestiges les plus précieux,et en reconstituant des pans entiers de l'histoire", conclut Ghislain Vincent. 

Si la mosaïque ne revient pas sur le lieu exact de son implantation, la ville s'est toutefois engagée à faire revenir la mosaïque à Uzès, après étude et restauration, dans un lieu qui reste à définir. 

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