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Bertrand Chamayou, son enfance et Schubert : le pianiste se raconte

Rencontre-portrait avec Bertrand Chamayou à l’occasion de la sortie de son disque Schubert chez Erato. Le pianiste de 33 ans évoque sa lecture toute personnelle des légendaires «Schubertiades », rencontres poétiques et musicales organisées autour du compositeur de son vivant. Il revient aussi sur son parcours, ses envies d’écriture, ainsi que sur sa dystonie, dite aussi la crampe du musicien.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
  (Marco Borggreve/Erato)
Culturebox : Pourquoi avoir consacré maintenant ce disque à Schubert ?
Bertrand Chamaypou : J’essaie toujours de suivre mes intuitions. Au-delà de ma préparation des concerts, je m’octroie des phases où je lis de la musique ou je reprends des partitions, pour le plaisir, dans une démarche d’amateur. C’est dans ces moments qu’apparait mon désir de bâtir un projet. Ainsi, en relisant la « Wanderer Fantaisie » de Schubert, que je connaissais pour l’avoir jouée dès mon plus jeune âge, j’ai conçu l’idée de ce disque : imaginer ce que pouvaient être les rencontres musicales dites les « Schubertiades ».
 
Donc un programme typiquement romantique, qui serait aussi mon portrait personnel de Schubert.

Quel Schubert décrivez-vous ?
C’est un Schubert moins mélancolique que celui qu’on montre généralement, même si je ne nie pas cet aspect-là. J’ai personnellement toujours aimé davantage sa dimension énergique que l’on trouve dans la « Wanderer Fantaisie », du moins en partie, car cette dernière contient également des passages mystérieux, qui correspondent au Schubert « triste ».
Dans mon disque, j’ai associé à la Wanderer Fantaisie quelques Lieder transcrits par Liszt, et des danses, les « Ländler ». Sans doute une dimension mélancolique s’esquisse-t-elle dans la série d’impromptus, les  « Klavierstücke », que j’ai placée à la fin du programme, comme pour dessiner une courbe, la promesse d’une évolution. Encore une fois, c’est intuitif, je suis parti d’une vision, un désir. Jusque là, pour mes précédents enregistrements, j’avais emprunté des chemins de traverse, avec César Franck, Liszt et Mendelssohn. L’âge avançant, j’avais envie de m’attaquer à des compositeurs plus « pilier » comme Schubert, Mozart ou Beethoven. 

Beethoven est votre compositeur fétiche…
Oui, c’est le premier compositeur que j’ai aimé, ses 32 sonates et les Variations Diabelli. Après, j’ai fait un grand saut vers la musique du XXème siècle et la musique contemporaine.

Vous avez, vous-même, composé. Est-ce complètement fini ?  
Non, ce n’est pas figé. En réalité, la composition remonte à mon enfance. Je vivais la musique comme un terrain de jeu ; le piano était un outil pour fabriquer des sons. Soit je jouais des partitions trop difficiles pour moi (comme la « Wanderer Fantaisie »), soit je composais ou je faisais des improvisations. Mais étant timide, je n’ai pas beaucoup montré mes partitions. Tout est allé très vite. Aujourd’hui, cette part de création me manque et je voudrais m’aménager un peu de temps, dans cette vie de concerts, pour me remettre à l’écriture.

Quelle importance a pour vous la musique contemporaine ?
Là aussi, je suis obligé de remonter à ma jeunesse, car la musique contemporaine y fut réellement fondamentale. D’abord Messiaen, puis ses élèves, Boulez et Stockhausen. C’était pour moi un univers quasi cosmique (et chez Stockhausen, surnaturel), qui me fascinait, mais j’étais incapable de l’interpréter.

Avez-vous rencontré Boulez et Stockhausen ?
Oui. D’abord Stockhausen, mais j’étais trop jeune et pas assez culotté pour essayer de travailler avec lui. Avec Boulez, l’inverse s’est produit, mais beaucoup plus tard. Venu, un jour par hasard, m’écouter à un concert, il m’a proposé de jouer, sous sa direction, le 2ème concerto de Bartok. La perspective de ce moment m’a angoissé longtemps avant, tant la charge émotive était forte. Boulez a véritablement compté dans ma relation à la musique. 

Aujourd’hui, la musique contemporaine fait-elle partie de votre répertoire ? Pourriez-vous par exemple enregistrer un disque contemporain ?
Pour ce type de musique, je penserais plutôt à l’auto produire et à le diffuser sur internet. Je n’ai pas envie d’imposer un disque qui passerait inaperçu – ce ne serait pas un service rendu à la musique contemporaine. De la même manière, dans le passé, j’insérais du contemporain, à dose homéopathique, dans des concerts classiques. Je ne le fais plus ; je préfère me consacrer au répertoire contemporain, à des compositeurs comme George Benjamin, ou Wolfgang Rihm, ou d’autres, un événement à part entière, et à l’avenir j’aimerais l’associer à une scénographie spécifique et à un espace plus adapté qu’une salle de concert traditionnelle. 

Un mot sur la dystonie dont vous avez souffert. Que vous a apporté cette expérience ?
J’ai vécu en 2008, les prémices d’une dystonie, un trouble neurologique qu’on appelle aussi la crampe du musicien. Pendant six mois, j’ai dû annuler tous mes concerts. Puis, j’ai repris à jouer, le corps tout en crispation et en douleurs. Période d’incertitude absolue, de dépression. Je m’en suis sorti en m’obligeant d’abord à un regard sur moi-même, sur un parcours en spirale, où tout avait été peut-être trop facile. J’ai accepté l’idée de devoir éventuellement me reconvertir. Ensuite, j’ai repensé aussi complètement ma technique, en remettant à plat les bases : positionnement des doigts, gammes, etc. ; ça a augmenté mes possibilités sonores et donné plus d’épaisseur musicale. En réalité, ça m’a complètement changé, c’est la meilleure expérience qui me soit arrivée.

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