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Le Capitole de Toulouse ressuscite "Le Prophète" contre le fanatisme

Au Capitole de Toulouse, l'Italien Stefano Vizioli ressuscite "Le Prophète", du "Rossini allemand" Giacomo Meyerbeer (1791-1864), un opéra très politique, dénonciateur du fanatisme, qui trouve toute sa résonance dans le monde actuel.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Temps de lecture : 3 min
Stefano Vizioli, metteur en scène (2017)
 (REMY GABALDA / AFP)
Reportage : France 3 Midi-Pyrénées / C. Sardain / J. Pigneux / P. Barguisseau / C. Willocq


"Nouvelle Jérusalem"

Surgissant des blés jaunis par l'été, trois figures lugubres aux longs manteaux noirs viennent perturber le paysage bucolique. "Ces beaux châteaux, ils vous appartiendront. La dîme et la corvée, elles disparaîtront", promettent aux paysans les trois anabaptistes, ces chrétiens opposés au pape et prônant un baptême volontaire.
"Aux armes", chante alors le peuple, fourches et fléaux brandis. Mais chaque révolution doit avoir son prophète. Ce sera Jean de Leyde, décident les anabaptistes, voyant le ferment d'un rebelle dans cet amoureux dont la promise a été embastillée par le comte local.

Jean devient "le messie qui brise les fers" du peuple, avant de réaliser qu'il a servi de marionnette à l'instauration d'une des dictatures religieuses les plus sanglantes de l'Histoire. De 1534 à 1536, Jean de Leyde instaure à Münster, en Allemagne, la "Nouvelle Jérusalem". Se proclamant roi de Sion, il abolit la propriété privée et l'argent, impose le travail forcé, la polygamie et surtout la terreur.

"C'était un véritable monstre, un boucher adepte du cannibalisme, un personnage aussi charmant que Hitler", ironise le metteur en scène italien Stefano Vizioli dans une interview à l'AFP.

Mais il était surtout un "manipulateur manipulé par ceux qui voulaient qu'il soit prophète". "S'instaurant fils de Dieu, il est justifié à être un bourreau. C'est un thème très moderne et un opéra très politique", souligne le directeur artistique du Théâtre de Pise, en Italie.

Jusqu’à 100 personnes sur scène

Créé triomphalement à l'Opéra de Paris en 1849, "Le Prophète" avait quasiment disparu depuis le début du XXe siècle. Son auteur, l'Allemand Giacomo Meyerbeer, était pourtant le compositeur d'opéras le plus joué au XIXe, devant même les Mozart
et Verdi. Il était considéré comme le "Rossini allemand", du fait de son goût pour le style du maître italien.

"Tout vient de Meyerbeer", rappelle M. Vizioli. "Verdi a volé au Prophète pour Don Carlos. S'en sont également inspirés Saint Saëns et même Wagner qui pourtant détestait Meyerbeer".

Mais "Le Prophète" sort aujourd'hui de l'oubli : joué au printemps dernier à l'Aalto Muziktheater d'Essen, en Allemagne, il sera également monté à la Deutsche Opera de Berlin en novembre, après la nouvelle production au Capitole de Toulouse, qualifiée de "courageuse" par M. Vizioli.
"C'est un grand défi. On peut avoir jusqu'à cent personnes sur scène", rappelle le metteur en scène en référence au "grand opéra", ce style qu'avait popularisé Meyerbeer après s'être installé à Paris : des représentations grandioses, avec une distribution et un orchestre pléthoriques.

Sur la scène du Capitole, se bousculent ainsi pendant 3h40 des dizaines d'enfants à la voix d'ange, enveloppés de linceuls blancs immaculés, des femmes quasi-nues ondulant leur corps lascif, et des soldats en tenue d'apparat défilant sur des fonds sinistres, composés tantôt d'une gueule béante aux dents acérées, tantôt de cadavres pendus dans le vide.

"J'ai voulu placer le drame dans une boîte étouffée et noire où les éléments symboliques explosent", reconnaît M. Vizioli, justifiant ainsi cet immense bœuf écartelé qui domine parfois le plateau, ou ces figurants déguisés en zombies, tout comme ces paysannes qui enfilent soudainement des tutus, en plein champ de bataille, pour danser un ballet incongru sur le style de "Casse-Noisette".

"Il y a beaucoup d'incohérences dans 'Le Prophète'. Il faut l'accepter. La contradiction, il faut l'aimer et ne pas chercher le rationnel", explique le metteur en scène qui avait déjà monté deux opéras au Capitole.

"Je voulais un peu rigoler", confesse-t-il aussi, reconnaissant: "C'est un opéra très noir. Je suis un peu déprimé à la fin. J'ai besoin d'une 'Flûte enchantée' après".

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