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Barbara s'expose à la Philharmonie : rencontre avec une dame en noir et blanc

Disparue il y a 20 ans, jamais oubliée, toujours adulée par son public, les hommages se multiplient. Il y a eu le film de Mathieu Amalric, déclaration d'amour à la chanteuse, puis la sortie de l'album "Lily passion" dont les bandes magnétiques ont resurgi des caves d'Universal... Et maintenant l'exposition à la Philharmonie intitulée tout simplement "Barbara".
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
  (Perlimpinpin)

Balade avec le personnage Barbara

Parcourir l'exposition Barbara à la Philharmonie, c'est déambuler, durant deux heures, avec une longue dame brune dans 60 ans de vie, avec une créature mystérieuse qui vous emporte sur la route de son existence. Georges Moustaki avait raison de chanter : "J’ai inventé pour une dame brune, un jour, une chanson au clair de lune si elle l’entend ( …) elle le saura c’est une chanson d’amour pour elle et moi". Le duo Moustaki Barbara est bien sûr dans le parcours de l’exposition au milieu des rideaux de velours rouge.

Dans une promenade, il existe des étapes, des refuges, proposons quelques haltes, au hasard parmi des dizaines possible. La première sera l’entrée, théatrale, qui comme des retrouvailles, marque l’esprit de l’exposition.

  (Marcel Imsand )

Au début sont des rideaux, ses mains, sa nuque

Une image noire et blanche - les paumes offertes en avant vers le public - ouvre l’exposition. "Ma plus belle histoire d’amour c’est vous" résonne. Des rideaux rouges et gris borderont le parcours comme une visite dans les coulisses d’une vie. Barbara qui n’aimait pas son image s’est pourtant exposée souvent devant les objectifs des photographes. Elles seront nombreuses, ces images. Celles de Jean-Pierre Leloir, classique et graphique. Le corps, l’allure de la chanteuse se prêtent à ce dessin. Dans une émission Discorama de 1968, elle confie à Denise Glaser ses interrogations sur son corps aux allures dérangeantes. Pourtant, comment ne pas admirer cette fière allure sensuelle ? Une photo de 1957, de Robert Doisneau, la montre déjà dans son personnage, grands yeux surlignés de noir, regard perdu et profond. Celle de Marcel Imsand seront les plus intimes, ce sont celles du photographe complice. Jusque dans sa maison de Precy-sur-Marne.

Ensuite, l'enfance meurtrie

Donc, elle s’appelait Monique Serf, petite fille juive née dans un milieu que l’on ne disait pas défavorisé à l’époque, mais tout simplement pauvre. Avoir neuf ans à l’entrée en guerre marque une vie. Elle a raconté dans son autobiographie comment son enfance fut surtout meurtrie. Elle ecrira dans "Il était un piano noir…", sur ses années de famille : "Je garderai longtemps le souvenir du mélange de fascination, de peur, de mépris, de haine et d’immense désespoir que je ressentirai lorsque je le retrouverai mort, à Nantes, vingt ans plus tard…"

Barbara parle ainsi de son père, coupable d'inceste. Dans l’exposition, pudiquement une photo de sa mère et une de son père encadrent l’acte de naissance de la petite Monique. Pudique, mais qui jette un éclairage sur le drame intime, et les départs, et les fugues, et les voyages de Barbara toujours sur la route. La chanson l'a sauvée, le spectacle l'a sauvée, la scène l'a sauvée. En fait, dit Clementine Deroudille, commissaire de l'exposition, plus que l'avoir sauvée, la musique, la chanson, le public ont permis à Barbara de vivre.   
Barbara à Bruxelles, années 1950
 (Jean Soulat )

Puis, un soir à l'Ecluse: une femme sur scène 

Dans cette scénographie théâtrale : étape suivante. Quelques chaises et le décor reconstitué du cabaret l’Ecluse. C’était au 15, quai des grands augustins dans le 6e arrondissement. Barbara y débute au début des années 50. 3,5 mètres sur 2 de scène. Un piano droit que Barbara surnommait sa casserole. A partir des années 60, elle y est sociétaire et surnommée "la chanteuse de minuit". On peut s'assoir, c’est même conseillé. Dans ces 15 m2, fermez les yeux et écoutez une ritournelle qui s'appelle une petite cantate : "Si, mi , la, ré, une petite cantate". Nous sommes en 1964, l’album s’appelle "Le mal de vivre". Juste à coté, un pan de mur et ses pochettes de vinyles sont entourés de celles de Cora Vaucaire, Juliette Greco, Colette Magny ou Catherine Sauvage. Et l'on comprend encore mieux que Barbara fut la première des auteures-compositeures-interprètes. Aurait-elle milité pour être qualifiée d'autrice-compositrice-interprète ? La question reste en suspens, mais traversons d'autres salles pour se diriger vers un coin sombre.  

Le dernier refuge à Precy-sur-Marne

Dans un virage de cette exposition qui se parcourt toujours comme une flânerie, on découvre un coin de campagne. Face à une scène reconstituée, où trône son rocking chair mythique à coté d'un piano noir, le spectateur découvre l'intérieur de la maison de Precy où elle compose ses chansons dans les années 80. Dans un coin, une petite table et un vieux répondeur. Vieux voudrait dire qu'il date de l'époque des cassettes-audio. Et de ce bidule d'un autre temps jaillit une voix. Celle de Barbara. Quelle belle trouvaille.

Elle laissa des centaines de messages à ses amis. Sûrement souvent dans ses interminables moments d'insomnie. Et sa voix est la même, celle de la scène, celle du spectacle quand elle parle au public. Saccadée, hachée, parfois sur le souffle, pour dire un "je viens mercredi, comme tu le sais ou comme tu le sais pas, garde les idées claires, tout va aller" murmure-t-elle. On dirait un dialogue de cinéma pourtant c'est la réalité de Barbara et d'un ami. Plus tard, elle surnomme un petit rat blanc d'un ton affectueux et rigolard. Et puis plus sèche, plus raide, presque étouffée, elle reproche, à qui on ne saura pas : "C'est quoi cette façon de dire en revoir ?" pour finir rieuse, "c'est dommage que tu ne me voies pas, je fais des grimaces, je t'envoie beaucoup de force." Les phrases à peine audibles se mêlent aux chansons diffusées dans la même salle, faisant se culbuter la vie quotidienne et les clameurs du spectacle.

Et c'est la fin

Deux heures ont passé. On connaît la fin de l'histoire. Barbara en novembre 1997, le 24 dans les brouillards de l'hiver, va mourir. Mais comme dans les romans, le spectateur peut faire demi tour, revenir vers la Barbara militante s'adressant à des prisonnières sur les dangers du Sida avec force et détermination. Retrouver les Unes de Rock and Folk où elle côtoie les Beatles, rock star à sa façon, elle aussi. Admirer ses tenues, ce "pantalon de smoking Barbara" fait de noir pour une silhouette qui restera la même durant 50 ans. Elle avait créé un personnage à la sortie de l'adolescence pour se sauver avec son piano : l'exposition Barbara de la Philharmonie est ce récit, celui d'une femme qui reste mystérieuse, qui fascine et envoûte toujours. 


Le pianiste Alexandre Tharaud et ses invités surprises rendent hommage à Barbara Samedi 14 octobre 2017.
Grande salle Pierre Boulez - Philharmonie, à 20:30.

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