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Apu Jan, Shao-Yen Chen et Mei-Hui Liu, 3 stylistes à l'avant-garde de la mode taïwanaise se dévoilent à Calais

"Mode in Taiwan", première exposition de stylistes taïwanais dans un musée français, lève le voile sur une mode contemporaine aux multiples facettes. Plongée dans cette culture orientale au travers du travail d'Apu Jan, de Shao-Yen Chen et Mei-Hui Liu, à la Cité de la dentelle et de la mode de Calais jusqu'au 23 avril 2017.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Exposition Mode in Taiwan : Shao-Yen Chen (à gauche), Mei-Hui Liu (au centre),  Apujan (à droite)
 (DR)

Les approches esthétiques et techniques de Mei-Hui Liu, d'Apu Jan et de Shao-Yen Chen illustrent le potentiel infini de la mode taïwaise contemporaine à travers leurs interprétations personnelles dans une industrie en perpétuelle évolution. Au carrefour des cultures chinoises et occidentales, les 80 créations présentées, ici, mettent en avant le langage de la déconstruction, du collage et du tissage. Dans la galerie d’exposition de la Cité de la dentelle et de la mode, les silhouettes sont disposées dans des vitrines en enfilade, à côté de vidéos de défilés. Un panneau illustré présente l’univers créatif de chaque couturier.


Cité de la dentelle oblige, une vitrine accueille 3 créations issues d’un partenariat avec 3 entreprises de dentelle. Mei-Hui Liu a travaillé avec une dentelle noire à dessin géométrique de l’entreprise Darquer (Calais). La robe, aux lignes fluides et près du corps, s’inspire de l’esthétique des robes portées par Mia Farrow (Daisy) dans le film "The Great Gatsby" sorti en 1974. Son interprétation mélange tissus vintage et contemporains, jeux de textures avec des ennoblissements étonnants. Le motif de la dentelle Sophie Hallette (Caudry), lui, sert de point de départ à la création de Shao-Yen Chen. Avec ses motifs de ronds et de triangles, elle évoque le dessin d’un œil que l'on retrouve sur une tunique ornée d’un oeil portée avec un pantalon où la dentelle est mélangée à d’autres matières. La longue robe du soir d'Apujan est réalisée à partir de techniques variées. Le chapeau-tulipe en crochet main est associé à un tricot à côtes réalisé à la machine et dont la rugosité de la laine entre en dialogue avec la délicatesse de la dentelle noire MyDesseilles (Calais).

Mei-Hui Liu, passion surcyclage

Après quatre ans à étudier la mode, l’art et les langues dans différents pays européens, Mei-Hui Liu a créé en 1998 à Londres sa marque éthique Victim Fashion Street. Pour ses vêtements surcyclés, elle réemploie des textiles délaissés en leur redonnant une seconde vie à l’aide de motifs appliqués, d’ornements anciens et de dentelles de l’époque victorienne dont elle est une adepte. Pionnière du surcyclage, elle a débuté dans les marchés de Portobello et Spitalfields à Londres, puis elle a ouvert deux magasins à Brick Lane et Carnaby Street. Tout en continuant à faire du sur-mesure, elle s’oriente vers le prêt-à-porter et développe des projets de mode éthiques et durables.
La créatrice Mei Hui Liu
 (Mei Hui Liu)
Elle enseigne à l’école de Mode Istituto Marangoni de Londres. En Angleterre, l’Institute of Contemporary Art, la Tate Modern et la Barbican Art Gallery ont présenté ses créations dans des expositions ou des défilés de mode. Actuellement, la créatrice travaille sur un projet de boutiques de mode éphémères multimédia récréatives. Elle a fait partie du jury des compétitions qui récompensent une démarche de développement durable dans la mode tels l’EcoChic Design Award en Asie.
Mei-Hui Liu et Mode in Taiwan
Musique électronique, style punk anglais, les Nouveaux Romantiques, dentelles anciennes et textiles vintage : ces courants esthétiques ont influencé ses créations. Néanmoins se dégage une constante : l’esthétique des créations présentées recherche le spectaculaire. Pour Mei-Hui, chaque pièce est "une robe qui fait converger tous les regards sur elle ; une robe que l’on porte jusqu’à ce qu’elle s’effiloche ; une robe qui vous aide à danser jusqu’à épuisement". Pour l’exposition, elle a sélectionné des robes de soirée, thème inspiré par son goût pour la fête, réalisées dans des matières et des textiles de réemploi.
Victime Fashion Street, robe blanche, automne-hiver 2012
 (Daniel Vazquez)

Apujan, passion tricotage

Apu Jan est né et a grandi à Taïwan. Il est le directeur artistique d'Apujan, marque basée à Londres. Après s’être spécialisé dans le prêt-à-porter féminin en tricot à l’Université catholique Fu Jen de Taipei, il a obtenu un master au Royal College of Art de Londres. Depuis 2013, il sensibilise le monde de la mode occidentale à l’industrie des articles en maille asiatique et à la culture artistique orientale, s’associant souvent avec de jeunes artistes taïwanais. 
Le créateur Apujan
 (Apujan)
Il a été désigné en 2013 comme l’un des dix créateurs les plus influents de l’année par le magazine Shopping Design. Souvent inspirées de thèmes littéraires, ses créations concilient un univers fantastique à une technique de tricotage unique. Ses collections défilent dans le cadre de la Fashion week de Londres, de Paris, à la Licensing International de New-York, au Fashionclash de Maastricht, à Amsterdam.
Apujan et Mode in Taiwan
Pour Apujan, chaque vêtement est une histoire, qui transparait au détour d’un choix de tissu, de musique et de mise en beauté des mannequins de ses défilés. Les créations présentées, ici, révèlent la virtuosité du créateur dans la technique du tricot. Certaines des tenues ont été réalisées à la main par superpositions de textiles.
Apujan, collection Encountering a roaming ship, printemps-été 2015
 (Takahito Sasaki)

Shao-Yen Chen, passion matériaux

Diplômé en 2010 du Central Saint Martins College of Art and Design, Shao-Yen Chen a créé la même année la marque de prêt-à-porter féminin Shao Yen. Il a travaillé chez Alexander McQueen et Hussein Chalayan. Son travail a été présenté dans des films lors de la Fashion week de Londres. Une renommée acquise via des projets dont la série de films "Punk" du site de mode avant-gardiste SHOWStudio et l’exposition "Bright Young Things" dans les vitrines du magasin londonien Selfridges, dans la boutique éphémère de Nicola Formichetti à New York, dans le magasin Lane Crawford à Pékin et au National Palace Museum de Taipei. 
Le créateur Shao Yen Chen
 (Shao Yen Chen)
Il a été l’un des porte-paroles du comité de la ville de Taipei lors de sa candidature au World Design Capital.
Shao-Yen Chen et Mode in Taiwan
Contrastes et mélanges de couleurs, d’idées et de techniques : ces silhouettes sont représentatives des lignes de force de ses créations. Depuis sa première collection "Waver", il s’attèle à employer des moyens subtils pour traduire sa fascination pour le surréalisme.
Shao Yen Chen, automne-hiver 2010
 (Christopher Moore)

La mode en Asie orientale

L’histoire vestimentaire de la zone culturelle sous influence chinoise est liée aux ouvertures et fermetures successives du pays aux flux culturels extérieurs. Les vêtements anciens chinois sont de coupe plate voilant les formes du corps et privilégiant les étoffes soignées. Les codes esthétiques des créateurs d’aujourd’hui s’éloignent de ces pratiques où la sensualité des corps est révélée par le froissement des étoffes et des coupes favorisant l’aisance des mouvements (le long gilet sans manches est un vêtement hérité de l’époque impériale). Privilégiant des couleurs contrastées aux tissages savants brodés, cette esthétique sophistiquée a marqué les modes occidentales des dernières décennies mais les jeunes créateurs d’Asie orientale cherchent à s’en éloigner.

La fin du XIXe siècle voit l’arrivée des codes esthétiques occidentaux en Chine. Dès lors apparaissent de nouveaux modèles de vêtements (comme le Qipao) qui vont bouleverser les modes occidentales comme orientales. Dans les années 1930 des maisons de couture mêlant les traditions chinoises et les coupes influencées par l’Occident se fondent en Chine continentale. Les années 1950 sont un tournant avec l’émergence de la république populaire de Chine : le vêtement est utilitaire (ouvrier, paysan ou militaire : seule la couleur varie bleu-vert-marron). Ce tournant vestimentaire n’ignore cependant pas certains héritages de l’histoire vestimentaire d’influence chinoise : coupes amples et aisance des mouvements.

A la fin des années 1970, la Chine s’ouvre, se désintéressant de ses traditions mais manifestant une curiosité pour les codes esthétiques occidentaux. Elle produit massivement des vêtements et une nouvelle classe fortunée consomme des produits de luxe occidentaux. Les stars de la pop et du cinéma influent sur la mode. Les marques de luxe internationales guident les nouveaux choix esthétiques. Les produits européens sont recherchés dès les années 1980 par les classes aisées et la mode adopte une vision internationale dominée par les codes esthétiques occidentaux.

Aujourd'hui, on note une recherche de nouveaux styles qui seraient plus marqués par la culture chinoise traditionnelle chez certains créateurs : la simplicité comme nouveau luxe.
Affiche de l'exposition "Mode in Taiwan"
 (Cité de la dentelle et de la mode)
Les modèles présentés dans l’exposition reflète cette influence majeure des styles occidentaux sur les jeunes créateurs de culture chinoise : styles géométriques, néo-victoriens, teintés parfois d’autres influences culturelles des continents proches comme le sportswear américain ou la mode de la rue japonaise. Un changement s'opère avec la nouvelle génération (nommée dans la presse "génération Y" ou "génération des fraises" à Taiwan), née à partir des années 1980-90. Leurs codes vestimentaires sont complexes et la recherche stylistique prime. C'est l’apparence soignée et le souci du détail qui dominent.

Aperçu historique de l’industrie taïwanaise

L’ile de Taïwan construit sa première usine à tisser en 1921. Ces usines de petites tailles seront détruites lors de la 2e Guerre mondiale. Entre 1945 et 1960, la production du textile est relancée puis s'oriente vers l'export. Mais elle connaît une période de crise dès 1961, quand les Etats-Unis baissent les importations depuis Taïwan avant d’arrêter en 1965 toute aide économique. Des mesures gouvernementales dans les années 60 encouragent la croissance des équipements et technologies. Une décennie plus tard Taïwan est le 4e producteur mondial de fibres synthétiques. Depuis les années 1980, on voit apparaître les textiles électroniques et l’accroissement du développement de la filière de la confection. Depuis 2005, avec l’abolition des quotas sur les exportations des textiles, l’industrie textile taïwanaise mise sur l’innovation, le design, la qualité et la productivité.

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