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Bologne : Hugo Pratt et son héros Corto Maltese en pleine lumière

Jusqu'au 19 mars, le Musée d'histoire de la ville de Bologne accueille une exposition pour l'anniversaire du personnage phare d'Hugo Pratt, le marin Corto Maltese. Une collection hommage au pionner de la bande dessinée "littéraire", dont la vie fut aussi riche d'aventures que celle de son héros de papier.
Article rédigé par franceinfo - Juliette Bourgeois
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Hugo Pratt et Corto Maltese , 50 ans de voyage dans le mythe, à Bologne
 (Juliette Bourgeois)

N’a-t-on pas déjà le sentiment de tout savoir, d’avoir tout vu sur Hugo Pratt et son anti-héros Corto Maltese ? Il fallait bien une exposition comme celle du musée d'Histoire de Bologne pour démontrer le contraire. Dans un des plus beaux palais médiéval de la ville, le palazzo Pepoli, une collection impressionnante retrace les itinéraires croisés d’Hugo Pratt et de Corto Maltese. Des débuts du dessinateur dans la revue "l’as de pique" à ses dernières aquarelles, on se perdrait presque à tenter de deviner quelle partie de son travail est issue de ce qu’il a vu de ses yeux, ou de son imaginaire.  

  (Juliette Bourgeois)

Dès l’entrée, la confusion est à l’honneur. Sur un mur noir, deux portraits. Hugo et Corto, le même regard, la même expression, tous les deux à 27 ans. "Pratt disait que c’est l’âge idéal", glisse Perrine, notre guide. Corto ne vieillira plus jamais. Devant une photo du dessinateur à Venise, Perrine explique "Hugo a raconté tellement de versions de sa propre vie, qu’il est difficile de savoir ce qui est vrai, ou mis en scène". Cela devient une évidence au fil du parcours de la rétrospective. D'illustres personnages réels du 20e siècle se baladent gaiement, croqués dans les fictions d'Hugo Pratt. On croise Rimbaud, Saint-Exupéry ou encore Jack London. Ces personnages historiques ont un point commun : ils étaient admirés pour leur talent autant que pour leur vie d’aventure.  
  (Juliette Bourgeois)

Toutes les péripéties de Corto Maltese contiennent un morceau de son créateur : l'album "les Ethiopiques" s’inspire de l’expérience du jeune Hugo, qui y a vécu lorsque son père, militaire, fut envoyé en Ethiopie servir dans les rangs de l’armée mussolinienne. Lui-même plus jeune soldat de la police coloniale, gardera une passion pour les uniformes, et une fine connaissance des chroniques de guerre. Avant de mourir, son père offre au jeune Hugo, alors Ugo, une édition de "l’île au trésor" de Stevenson. "Un jour, toi aussi tu trouveras ton île", lui dit-il. Un trésor que Pratt finira par trouver dans son travail .
  (Juliette Bourgeois)

Fidèle de Jorge Luis Borges, le célèbre auteur et poète argentin qui voulait vivre au milieu de livres, Pratt se crée sa bibliothèque virtuelle au fil de ses voyages. Ses rêveries ont le goût de la réalité. Même quand il est certain que certains endroits dessinés sont le fruit de l'imagination de l'auteur. Grâce aux livres qu'il dévore par centaines, il dessine ce qu’il se représente des lieux où Corto ira avant lui. Il y a cinquante ans, quand paraît "La balade de la mer salée", Pratt n’a encore jamais visité le Pacifique où se déroule l'intrigue.      
  (Juliette Bourgeois)

La pierre angulaire reste Venise, où il finit toujours par revenir. Son crayon fera courir Corto dans les ruelles de la sérénissime, sur fond d’ésotérisme franc-maçon. Profondément vénitien, c'est sous d'autres traits que Pratt se représentera. Pour son unique autoportrait, il s'incarne en Simon Gilty. Un enfant de colons écossais adopté par une tribu d’indiens d’Amériques qui joua les intermédiaires pendant la révolution américaine. Le choix n'a rien d'anodin : Pratt vouait un culte à la narration des légendes indiennes. "On pourrait écrire un livre rien qu'avec leurs prénoms", peut-on lire à côté du dessin original de l'autoportrait.  

Songe d'une  vie rêvée

Pour faire naître une ambiance autour de cette vie si riche, le musée a vu les choses en grand. A l'étage inférieur, un salon est installé, entouré de plantes issues des pays où Corto fait escale. Le mobilier est de la fin du 19e siècle, époque du marin. A table, il est possible de déguster un repas inspiré de ses destinations exotiques. Au sol, des vignettes de mouettes indiquent le chemin à suivre. Tout est fait pour embarquer les visiteurs dans le monde rêvé d'Hugo Pratt. Patrizia Zanotti, son ancienne assistante à l'origine de l'exposition, confie "L'idée de cette rétrospective est née lorsque nous nous sommes rendus compte qu'il était essentiel de connaître l'auteur pour comprendre son oeuvre. La façon de vivre d'Hugo Pratt, qui incitait toujours à la curiosité, est un message d'ouverture et de tolérance plus qu'important dans notre époque actuelle".
  (Juliette Bourgeois)

50 ans et pas une ride, Corto? "C'est vrai que c'est un personnage très à la mode aujourd'hui." dit-elle d'une voix rieuse. Patrizia était l'assistante de Pratt, "presque la totalité de ma vie d'adulte" constate-t-elle. "Je me souviens d'Hugo lorsqu'il racontait sa vie, c'était toujours des moments joyeux.(...) Il parvenait à faire revivre un monde qui n'existe plus : l'âge d'or de l'édition, et même Venise. C'était une ville de partage, de multiculturalisme qui n'a plus rien à voir avec sa version touristique". Une ambiance retrouvée au palazzo Pepoli : "Ce sont des passionnés d'Hugo Pratt qui ont travaillé sur l'ambiance de l'exposition et ils ont fait un travail fabuleux", conclut Patrizia. 

Dans la dernière pièce du palais, les bustes des grandes femmes de la famille Pepoli font face aux planches originales de "La balade de la mer salée". Un couple de Vérone est en train de lire l'histoire mythique à son bébé. "On a grandi avec Corto, c'est le genre d'histoires qu'il faut transmettre. Car elles sont indémodables", explique le père. En sortant, on a l'impression d'avoir navigué avec Corto, mais surtout sur les flots de l'existence de son créateur. L'exposition nous fait voguer sur les pages de son univers, au rythme d'un tango, d'une vague de papier mouillé. Pour reprendre les mots de "Mû", épilogue des aventures de Corto, "la sortie est dans les rêves".
 

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