En immersion durant un an La réalisatrice, qui balance avec bonheur depuis trente ans entre fiction et documentaire, s'est immergée pendant un an dans le bois de Vincennes, "son" bois. Cette provinciale "en exil" à Paris se réfugie en effet au bois dès qu'elle le peut pour retrouver brièvement "l'illusion de la campagne", le "paradis rêvé et retrouvé".Drôle de paradis, planté en lisière de la ville, totalement artificiel, puisque des pompes y amènent l'eau de ses fausses rivières et lacs. C'est pourtant le lieu du "sauvage" pour tous ces citadins. Un pêcheur campe au bord du lac, comme dans un remake de "Into the Wild", et rejette les carpes qu'il a attrapées, après les avoir soigneusement pesées et photographiées.Des plans larges dévoilent ici une allée au petit matin, là un champ moissonné en juillet, un sous-bois au printemps ou une pelouse frissonnante sous le gel. Le bois est une promesse, un retour à l'enfance, omniprésente dans les témoignages de ses visiteurs et de ses habitants. Car on habite aussi le bois: le personnel qui le nettoie recense 80 campements l'hiver, 200 l'été. Prostituée ou exhibitionniste: la réalisatrice suscite les confidences"Il y avait un seul SDF en 1975", observe Claire Simon . Ici, Philippe l'ermite a dressé sa tente. Retiré du monde, il vit de rien, rapporte au poste de police un pantalon bourré d'argent et de cartes bancaires dont il n'a que faire. Plus loin c'est Laetitia, coquettement installée avec sa tente et son "salon" en plein air, qui fait briller sa vaisselle au soleil. Claire Simon réussit à susciter les confidences, faisant oublier la présence de la caméra. Sa petite équipe de quatre personnes a sillonné le bois pendant un an à vélo.Après avoir cherché à rentrer en contact avec une des prostituées du bois "pendant des mois", la réalisatrice rencontre Stéphanie, belle blonde plantureuse pleine de vitalité. "Il y a eu une espèce de coup de foudre de confiance. Elle était à un moment de sa vie où elle avait rencontré son nouveau copain, elle était pleine d'espoir", explique-t-elle.Stéphanie prend un risque certain en témoignant à visage découvert, mais "c'est peut-être une façon de quitter la prostitution", espère la réalisatrice, qui dit qu'elle fera "tout pour l'aider à en sortir".Claire Simon réussit magiquement à établir le dialogue avec les personnages les plus scabreux, comme ce voyeur qui décrit ses maraudes à la recherche de couples à "mater". "Mon intérêt pour ce qu'ils font est suffisamment réel pour qu'ils me fassent confiance", explique-t-elle.Restituer les milliers d'histoires de ce "lieu monde"A la manière d'une exploratrice ou d'une anthropologue, Claire Simon restitue les us et coutumes de ses contemporains, qu'il s'agisse de la cour de récréation ("Récréations", 1998) ou de la Gare du Nord où elle a passé cinq ans (2013).Une exploration qui demande du temps, et de la patience. Au spectateur de s'immerger dans une balade de 2h30. "Ce sont des milliers d'histoires, c'est un lieu-monde", explique la réalisatrice, qui va aussi éditer un DVD sur le sujet, plus complet. Elle réfléchit aussi à une fiction sur le bois, comme pour "Gare du Nord", décliné en DVD, en film et en webdoc.Elle vient de terminer un nouveau documentaire qui sortira fin 2016 ou début 2017, sur le concours de la fameuse école du cinéma la Femis, un des plus sélectifs de France. Dans la lignée du sociologue Pierre Bourdieu, Claire Simon y explore la fabrique "des dominants", "la constitution d'une élite républicaine"."Le Bois dont les rêves sont faits", documentaire de Claire Simon. En salles le 13 avril 2016