C'est la fin des grandes séries en BD pour Jean Dufaux

Jean Dufaux (Paris, juin 2017, photo Francis Forget)

Le scénariste vient d’achever le dernier tome de Niklos Koda, série qu’il a commencée il y a 18 ans. Un soulagement pour celui qui ne croit plus en l’avenir des longues séries en bande dessinée.

Murena, Djinn, Jessica Blandy ou Giacomo C. sont quelques-unes des séries signées par le prolifique scénariste Jean Dufaux. Elles ont toutes au minimum plus de 15 ans d’âge et plus de 10 tomes. Le scénariste a tressé sa carrière avec ces séries de longue haleine. Il les achève maintenant une à une. La dernière dont il clôt le récit est une grande discrète. Niklos Koda n’a pas la notoriété de Murena. Pourtant elle mérite d’être classée parmi les grandes séries de bande dessinée. Récit original d’espionnage qui prend le chemin du surnaturel, polar ésotérique nimbé de sentiments et de passions.

Le dessinateur Olivier Grenson expose les planches de Niklos Koda à la galerie Daniel Maghen jusqu'au 24 juin.

Le dessinateur Olivier Grenson expose les planches de Niklos Koda à la galerie Daniel Maghen jusqu'au 24 juin.

En 1998 quand l’auteur propose la série aux éditeurs, ce genre de récit était quasi inconnu. Pas facile à placer. Ce sont les éditions du Lombard qui signent le contrat avec le duo Jean Dufaux et Olivier Grenson au dessin. S’en suivront quinze albums et 600 000 exemplaires vendus selon l’éditeur. L’ultime opus, Le dernier masque, vient de paraître. Il fait l’objet d’une exposition en ce moment à la galerie Daniel Maghen à Paris jusqu’ au 24 juin. L’occasion d’admirer le trait précis et gracile d’Olivier Grenson. Un dessin qui devient époustouflant sur les derniers albums. Comme pour marquer à l’encre ce qui fut un phénomène éditorial en bande dessinée. Ces grandes sagas dont le récit se suivait, s’imbriquait d’album en album. Un fond précieux, riche en succès qui ont marqué l’histoire du 9ème art. Mais semble-t-il en voie d’extinction. Le point de vue de celui qui en reste l’un des maîtres, Jean Dufaux.

Niklos Koda, magicien et espion dont la série s'achève avec le 15ème tome (Grenson & Dufaux / Le Lombard).

Niklos Koda, magicien et espion dont la série s'achève avec le 15ème tome (Grenson & Dufaux / Le Lombard).

Niklos Koda est une histoire qui se termine pour vous et Olivier Grenson ?

Jean Dufaux : Oui, définitivement après 18 ans d’existence et 15 albums. Il n’y aura pas de spin-off ou de chose comme ça qui, en général, procède plus de l’exploitation commerciale que du génie créatif.

Dix-huit ans, ça laisse du temps au héros pour évoluer ?

Niklos Koda est un homme fragile et l’histoire l’a fait changer. Comme dans d’autres de mes séries, les personnages ne sont plus les mêmes entre le début et la fin. Koda est un porteur de masques mais il a trop de masques. Il va perdre son identité, s’égarer. Il passera de la magie blanche à la magie noire. Un basculement qui se révèle être très dangereux.

Quinze albums, ça laisse aussi du temps à la série pour mûrir. Vous aviez tout écrit depuis le premier tome ?

Quand je commence une histoire, je ne connais pas tout. Je connais le fil et quelques étapes. Des idées que j’ouvre dans le récit comme des tiroirs. Et qui peuvent se refermer au bout de 18 ans. Ça pompe beaucoup d’imagination et d’énergie de concevoir des récits de la sorte. C’est épuisant de finir 15 albums.

Koda

Epuisé ? C’est ce que vous ressentez après avoir terminé la série ?

Un soulagement intellectuel, un ouf, on a terminé. Il faut tenir la vibration des émotions, du récit sur une longue série. C’est maintenant à Koda de se débrouiller. Il n’appartient plus exclusivement à Olivier et à moi. Une histoire est réussie quand elle donne envie d’en raconter d’autres. Quand je sors d’un film ou que je termine de lire un roman, je me refais le récit. J’imagine, je gamberge. Je participe ainsi au phénomène de création. Je souhaite pour Koda que les lecteurs s’en emparent. Ce n’est pas parce-qu’il y a le mot fin que ça doit se terminer.

C’est ce sentiment de soulagement qui vous pousse à terminer vos grandes séries ?

Les très longues séries appartiennent aux années 80-90, une époque révolue. Je pense qu’elles vont toutes s’achever. C’est ce que je fais avec les miennes. Le contexte a changé. Je connaissais des lecteurs qui arrivaient à lire quasiment toutes les nouveautés dans les années 80. Aujourd’hui, c’est impossible. Nous sommes passés de 2000 albums chaque année à plus de 5000. Nous arrivons à saturation. Demander à un lecteur de se souvenir du précédent tome devient impossible. Le temps est devenu trop long pour les grandes séries. On perd les histoires, on perd les ressorts et on finit par perdre les lecteurs.

Niklos Koda Océan

Les grandes séries sont donc vouées à disparaître ?

Nous sommes en surproduction. Nous sommes passés dans la BD de la consommation culturelle à la consommation tout court avec son marché. C’est dommage. Ce long travail se termine en BD mais réapparait ailleurs à la télévision. Je le sais car j’écris en ce moment pour la télé.

Une reconversion à la télé ?

Non, je continue la bande dessinée mais je n’écrirai plus que des histoires en un ou deux volumes. Et c’est vrai que je suis en train d’adapter en série télé Meutes, une bande dessinée que j’avais réalisée avec Olivier Boiscommun en 2015. Une histoire fantastique avec des loups-garous. Je suis un peu superstitieux. Je ne veux pas trop m’avancer mais j’espère que ça aboutira.

CV_NIKLOSKODA_15_FR.indd Niklos Koda, tome 15, Le dernier masque. Dufaux & Grenson / Le Lombard. 12 €